Encrier 87

Textes de 2022 Texte de Daniel : Il a juste laissé une case blanche . . .

Jean-Jacques Sempé a quitté sa planche à dessins le 11 aout récent. Laissant un vide mais toujours dans les regards et toutes les têtes...Son <<Petit Nicolas>> , qui a plus de 60 ans maintenant, restera à jamais immortel... Ses dessins tenaient plus de l'esquisse que de vignettes léchées. Il paru dans nombre de journaux et magazines dont Paris-Match et le Nouvel-Observateur pour la France, et dans le New-Yorker pendant cinquante ans. Son travail relève du sociétal en décrivant notre monde avec une économie de moyens étonnante. Cette semaine L'OBS republie une planche de 9 vignettes datant de 1975. Je vais tenter de la dessiner en mots...Que faire d'autre quand on ne sait pas dessiner mais que l'on aime les dessinateurs ?

"Cette planche raconte une histoire. Celle de deux personnages, qui marchent l'un vers l'autre, dans ce premier dessin qui expose le décor d'un parc feuillu, avec un plan d'eau et un soleil encore haut. Il s'agit, à gauche d'un homme, et à droite d'une femme. Ils semblent avoir la trentaine. Ils marchent affairés en fumant. Sans doute passent-ils sur ce chemin sans l'avoir choisi...Ainsi est la vie souvent..."

" Ils lèvent leurs regards juste en se croisant et là, déclic ! C'est tout pour le second dessin au fond totalement blanc."

"Troisième vignette : ils se regardent, croit se reconnaitre, et dans les bulles au-dessus de leurs têtes ils revoient leur souvenir l'un de l'autre...Vers l'âge de 15 ans semble-t'il. Tendant l'index ils se parlent et se confirment leurs souvenirs. Le contact est pris, l'histoire peut continuer, en images et sans dialogues sauf dans la dernière case."

"Maintenant ils cheminent tranquillement heureux, se racontant leurs vies avec force sourires, noyés dans la verdure."

"Au stade suivant, le cinquième, ils approchent du plan d'eau qui accueille les canotiers en mal de romantisme."

" A présent ils voguent. Lui rame, semi-allongée elle rêve, l'instant n'est pas aux confidences. Les regards suffisent"

" Changement d'activité. Après la barque les vélos. Lui fait le singe en lâchant son guidon. Elle est hilare, heureuse..."

" Avant dernière scène : exit les vélos, ils traversent une partie étroite du lac dans laquelle un gué de grosses pierres a été aménagé. Il la guide en tenant sa main, elle semble heureuse avec un sourire majeur..."

" Au final on les trouve assis dans l'herbe, fumant et discutant..."

Au-dessus de leurs têtes flottent huit mots figurant leur échange. On s'attendrait à entendre des confidences sinon sentimentales au moins amicales après ces retrouvailles bienvenues dues au hasard de la vie...Eh bien non ! les thèmes sont "Béjart, Emile Ajar, Freud, Lacan, l'Opéra, Steve Reich, l'hyper-réalisme et la pollution..."

Sempé réussit l'exploit, avec si peu de moyens, de décrire une partie de la société, post-soixante-huitarde sans doute, pseudo intello et branchée, préfigurant les bobos à venir des années 2000. Son regard est acéré mais pas cruel, il indique et souligne sans dénoncer, il met le doigt sur les travers, un peu ridicules, de gens qui cherchent, peut-être, à se prouver chacun leur propre valeur. Le lecteur, devant cette inanité ment.ale supposée, se prend à regretter la "happy-end" nulle, celle d'un film de Lellouche par exemple; là nous avons Woddy Allen...fin un peu tristoun', un peu douce-amère...inutile ?

Il y a, certainement, quelque part un métavers où, avec les grands anciens : Honoré Daumier et Gustave Doré, s'amusent tous les graphiteurs, gratteurs, crobardeurs et crayonneurs impénitents. On y voit: Cabu, Topor, Gébé, Wolinski, Charb, Tignous, Siné, Effel et...Sempé. Lui il vient juste d'arriver, il a posé sa hotte pleine de crayons, plumes, gommes, taille, et feuilles blanches. Il ne fait rien, il regarde, il observe et se demande comment il va pouvoir croquer tous ses amis...

Au loin, dans la direction du couchant, une silhouette s'éloigne lentement, en tendant l'oreille on peut saisir :

                                                "I am a poor lonesome cow-boy..."

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