LE BLEU -D’ICI, LE BLEU - DE LÀ - BAS
Ils sont là, agrippés l’un à l’autre, presqu’un seul corps! Ils ont dû abandonner là-bas dans le lointain pays leur famille, leurs amis, leur maison, leur terre, leur langue même !
La mort n’a pas voulu d’eux, alors le père s’est engagé à faire confiance en la vie ; oui il cheminera sans trêve sur cette nouvelle terre, oui il accompagnera l’enfant vers son destin d’ homme debout.
Un matin, la vie du père se trouve inondée par la plus familière des couleurs : le bleu .
L’homme se retrouve chez lui: le bleu de la mer apaisée, le bleu du ciel sans nuages, le bleu des murs de sa chambre d’enfant, le bleu de sa « maman bleue », ce morceau de tissu qu’enfant il tenait entre ses doigts en suçant son pouce et qui le consolait de tous ses chagrins.
La confiance en la vie est là!
Mais le bleu-d’ici n’ est pas le bleu- de là-bas.
Insidieusement, le bleu-d’ici s' infiltre partout en l’homme, il l’ envahit, comme une fuite d’eau, en silence, dévaste tout sur son passage dans une maison.
Le bleu-d’ici commence même à se faufiler dans la tête et le corps du petit .
Le père est dépossédé de son regard, de ses mots, de sa langue. Il oublie même son histoire, jusqu’au jour où, au lever, le regard du père se réveille de cette nuit de la noyade dans le bleu- d’ici
Dans son sommeil, il a certainement supplié de toutes ses forces ses ancêtres de lui venir en aide et ils ont entendu, ils ont répondu!
Le combat des ancêtres a dû être rude pour donner à l’homme perdu la force de retrouver ses propres couleurs , mais au matin il sent qu’il a recouvré l' énergie pour accompagner son fils , héritier d’une histoire et d’une culture riches et singulières, vers une vie vivante .
C’est ainsi que le père et le fils vont commencer le grand chantier de décapage pour faire réapparaître sous le masque bleu-d’ici, épais et uniforme, des plages du bleu de l’origine.
