Association Encrier - Poésies

Rencontres avec des textes d'auteurs Rencontre avec Alexandre Dumas : Vingt ans après-Ch.8 d'Artagnan et la mesure d'hypocras

Extrait du Chapitre 8 de Vingt ans après d'Alexandre Dumas: DES INFLUENCES DIFFÉRENTES QUE PEUT AVOIR UNE DEMI-PISTOLE SUR UN BEDEAU ET SUR UN ENFANT DE CHŒUR.

Dans ce Chapitre , d'Artagnan commande une mesure d'hypocras pour pouvoir tranquillement épier le valet Bazin d'Aramis , qui, devenu bedeau , refuse de lui donner des informations sur Aramis.

J'ai cherché ce passage car il est à l'origine de l'apparition du mot HYPOCRAS dans le Jeu No 3 de l'atelier virtuel d'écriture de Encrier : ce mot a été donné par Daniel , souvenir marquant d'une lecture lointaine de Vingt ans après au collège

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D’artagnan prit le Pont-Neuf en se félicitant d’avoir retrouvé Planchet ; car tout en ayant l’air de rendre un service au digne garçon, c’était dans la réalité d’Artagnan qui en recevait un de Planchet. Rien ne pouvait, en effet, lui être plus agréable en ce moment qu’un laquais brave et intelligent. Il est vrai que Planchet, selon toute probabilité, ne devait pas rester longtemps à son service, mais en reprenant sa position sociale rue des Lombards, Planchet demeurait l’obligé de d’Artagnan, qui lui avait, en le cachant chez lui, sauvé la vie ou à peu près ; et d’Artagnan n’était pas fâché d’avoir des relations dans la bourgeoisie, au moment où celle-ci s’apprêtait à faire la guerre à la cour. C’était une intelligence dans le camp ennemi, et, pour un homme aussi fin que l’était d’Artagnan, les plus petites choses pouvaient mener aux grandes.(...)

En se retournant, d’Artagnan vit Bazin qui, après avoir déposé ses habits ecclésiastiques, causait avec le sacristain à qui lui d’Artagnan avait parlé en entrant dans l’église. Bazin paraissait fort animé et faisait avec ses gros petits bras courts force gestes. D’Artagnan comprit que, selon toute probabilité, il lui recommandait la plus grande discrétion à son égard.

D’Artagnan profita de la préoccupation des deux hommes d’Église pour se glisser hors de la cathédrale et aller s’embusquer au coin de la rue des Canettes. Bazin ne pouvait, du point où était caché d’Artagnan, sortir sans qu’on le vît. Cinq minutes après, d’Artagnan étant à son poste, Bazin apparut sur le parvis ; il regarda de tous côtés pour s’assurer s’il n’était pas observé, mais il n’avait garde d’apercevoir notre officier, dont la tête seule passait à l’angle d’une maison, à cinquante pas de là. Tranquillisé par les apparences, il se hasarda dans la rue Notre-Dame. D’Artagnan s’élança de sa cachette et arriva à temps pour lui voir tourner la rue de la Juiverie et entrer, rue de la Calandre, dans une maison d’honnête apparence. Aussi notre officier ne douta point que ce ne fût dans cette maison que logeait le digne bedeau.

D’Artagnan n’avait garde d’aller s’informer à cette maison ; le concierge, s’il y en avait un, devait déjà être prévenu, et s’il n’y en avait point, à qui s’adresserait-il ? Il entra dans un petit cabaret qui faisait le coin de la rue Saint-Éloi et de la rue de la Calandre et demanda une mesure d’hypocras. Cette boisson demandait une bonne demi-heure de préparation ; d’Artagnan avait tout le temps d’épier Bazin sans éveiller aucun soupçon. Il avisa dans l’établissement un petit drôle de douze à quinze ans, à l’air éveillé, qu’il crut reconnaître pour l’avoir vu vingt minutes auparavant sous l’habit d’enfant de chœur. Il l’interrogea, et comme l’apprenti sous-diacre n’avait aucun intérêt à dissimuler, d’Artagnan apprit de lui qu’il exerçait de six à neuf heures du matin la profession d’enfant de chœur, et de neuf heures à minuit celle de garçon de cabaret.

Pendant qu’il causait avec l’enfant, on amena un cheval à la porte de la maison de Bazin. Le cheval était tout sellé et bridé. Un instant après, Bazin descendit.

— Tiens ! dit l’enfant, voilà notre bedeau qui va se mettre en route.

— Et où va-t-il comme cela ? demanda d’Artagnan.

— Dame, je n’en sais rien.

— Une demi-pistole, dit d’Artagnan, si tu peux le savoir.

— Pour moi ? dit l’enfant, dont les yeux étincelèrent de joie ; si je puis savoir où va M. Bazin ? ce n’est pas difficile. Vous ne vous moquez pas de moi ?

— Non, foi d’officier, tiens, voilà la demi-pistole ;

et il lui montra la pièce corruptrice, mais sans cependant la lui donner.

— Je vais le lui demander.

— C’est justement le moyen de ne rien savoir, dit d’Artagnan ; attends qu’il soit parti, et puis après, dame ! questionne, interroge, informe-toi. Cela te regarde, la demi-pistole est là.

Et il la remit dans sa poche.

— Je comprends, dit l’enfant, avec ce sourire narquois qui n’appartient qu’au gamin de Paris ; eh bien ! on attendra.

On n’eut pas à attendre longtemps. Cinq minutes après, Bazin partit au petit trot, activant le pas de son cheval à coups de parapluie. Bazin avait toujours eu l’habitude de porter un parapluie en guise de cravache.