Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Apollinaire Rencontre avec Apollinaire : Lueurs des tirs – Chant de l’horizon en Champagne

Chirico-Lithographie 1923: Chant de l’horizon en Champagne-MAH Musée d’art et d’histoire Genève

Écoutez Sébastien Thévenet (dit au club des Poètes en novembre 2013)

Sébastien Thévenet a ouvert à Marseille en 2020 une galerie: Galerie KOKANAS

Je mets ci-dessous un lien : Florilèges de Sébastien Thévenet , un partage de poésies qu'il a proposé début 2022 dans sa galerie :

https://www.youtube.com/watch?v=L9JXOW3r4RU

Voici le tétin rose de l’euphorbe verruquée


Voici le nez des soldats invisibles


Moi l’horizon invisible je chante


Que les civils et les femmes écoutent ces chansons


Et voici d’abord la cantilène du brancardier blessé


Le sol est blanc la nuit l’azure


Saigne la crucifixion


Tandis que saigne la blessure


Du soldat de Promission


Un chien jappait l’obus miaule


La lueur muette a jailli

À savoir si la guerre est drôle


Les masques n’ont pas tressailli


Mais quel fou rire sous le masque


Blancheur éternelle d’ici


Où la colombe porte un casque


Et l’acier s’envole aussi


Je suis seul sur le champ de bataille


Je suis la tranchée blanche le bois vert et roux


L’obus miaule


Je te tuerai


Animez-vous fantassins à passepoil jaune


Grands artilleurs roux comme des taupes


Bleu-de-roi comme les golfes méditerranéens


Veloutés de toutes les nuances du velours


Ou mauves encore ou bleu-horizon comme les autres


Ou déteints


Venez le pot en tête


Debout fusée éclairante


Danse grenadier en agitant tes pommes de pin


Alidades des triangles de visée pointez-vous sur les lueurs


Creusez des trous enfants de 20 ans creusez des trous


Sculptez les profondeurs


Envolez-vous essaims des avions blonds ainsi que les avettes


Moi l’horizon je fais la roue comme un grand Paon


Écoutez renaître les oracles qui avaient cessé


Le grand Pan est ressuscité


Champagne viril qui émoustille la Champagne


Hommes faits jeunes gens


Caméléon des autos-canons


Et vous classe 16


Craquements des arrivées ou bien floraison blanche


dans les cieux


J’était content pourtant ça brûlait la paupière


Les officiers captifs voulaient cacher leurs noms


Oeil du Breton blessé couché sur la civière


Et qui criait aux morts aux sapins aux canons


Priez pour moi Bon Dieu je suis le pauvre Pierre


Boyaux et rumeur du canon


Sur cette mer aux blanches vagues


Fou stoïque comme Zénon


Pilote du coeur tu zigzagues


Petites forêts de sapins


La nichée attend la becquée


Pointe-t-il des nez de lapins


Comme l’euphorbe verruquée


Ainsi que l’euphorbe d’ici


Le soleil à peine boutonne


Je l’adore comme un Parsi


Ce tout petit soleil d’automne


Un fantassin presque un enfant


Bleu comme le jour qui s’écoule


Beau comme mon coeur triomphant


Disait en mettant sa cagoule


Tandis que nous n’y sommes pas


Que de filles deviennent belles


Voici l’hiver et pas à pas


Leur beauté s’éloignera d’elles


Ô Lueurs soudaines des tirs


Cette beauté que j’imagine


Faute d’avoir des souvenirs


Tire de vous son origine


Car elle n’est rien que l’ardeur


De la bataille violente


Et de la terrible lueur


Il s’est fait une muse ardente


Il regarde longtemps l’horizon


Couteaux tonneaux d’eaux


Des lanternes allumées se sont croisées


Moi l’horizon je combattrai pour la victoire


Je suis l’invisible qui ne peut disparaître


Je suis comme l’onde


Allons ouvrez les écluses que je me précipite et renverse tout

Guillaume Apollinaire- Calligrammes