Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Borges Rencontre avec Borges (1899-1986) : La lluvia

Écoutez El Cabrero

"La lluvia"

Bruscamente la tarde se ha aclarado

Porque ya cae la lluvia minuclosa.

Cae o cayo. La lluvia es una cosa

Que sin duda sucede en el pasado.

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Quien la oye caer ha recobrado

El tiempo en que la suerte venturosa

Le revelo una flor llamada rosa

Y el curioso color del colorado.

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Esta lluvia que ciega los cristales

Alegrara en perdidos arrabales

Las negras uvas de una parra en cierto

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Patio que ya no existe. La mojada

Tarde me trae la voz, la voz deseada

De mi padre que vuelve y que no ha muerto


"La pluie" (traduction littérale)


Brusquement le soir s'est éclairé

Parce que la pluie minutieuse tombe déjà.

Elle tombe et tomba. La pluie est une chose

Qui sans doute survient dans le passé.

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Celui qui l'entend tomber a recouvré

Le temps où le sort heureux

Lui révéla une fleur appelée rose

Et la curieuse couleur du rouge.

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Cette pluie qui aveugle les vitres

Réjouira dans des faubourgs perdus

Les noirs raisins d'une treille en une certaine

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Cour qui n'existe plus. Le soir

Mouillé m'apporte la voix, la voix désirée

De mon père qui revient et qui n'est pas mort.


"La pluie" (mis en vers français par Nestor Ibarra,poète argentin, ami de Borges)


Brusquement s'éclaircit le ciel embarrassé :

Il pleut enfin. Le flot minutieux arrose

Ma rue. Ou l'arrosa. La pluie est une chose

En quelque sorte qui survient dans le passé.

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Je l'écoute ; à sa voix, dans le soir remplacé,

Tout un temps bienheureux s'entrouve et se propose :

Le temps qui m'enseigna le parfum de la rose

Et l'étrange couleur du rouge courroucé.

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La rafale qui bat aux vitres aveuglées

Réjouira les noirs raisins et les allées

Poudreuses d'un jardin qui n'est plus, vers le bord

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Indécis d'un faubourg. A travers la durée,

L'heure humide m'apporte une voix désirée :

Mon père est là, qui revient et qui n'est pas mort.


"Comme beaucoup, je tiens qu'un poème est intraduisible, mais qu'il peut être recréé dans

une autre langue (je sais bien qu'en bonne logique, il suffirait d'un seul vers bien traduit

pour réfuter cette assertion). Tout dépend, bien sûr, de ce qu'on entend par "bien traduit".

Pour moi, je suis nominaliste; je me méfie des affirmations abstraites, et je préfère m'en

tenir aux cas particuliers."

Jorge Luis Borges