BACH EN AUTOMNE
VI
SUR LE NOM DE BACH 1
Dans la gamme couleur d’automne de si bémol mineur, descend
Cette première marche jusqu’à la note sensible ! Le nom alors se hisse
Jusqu’à do, le niveau de la réalité. Et, de nouveau, du même demi-ton
Retombe
Sur ce si dont la vibration suspendue appelle une nouvelle ascension.
Le clavier est l’image du monde. Comme l’échelle de Jacob
Il nous traverse de bout en bout.
Regarde la corde tendue sur son frêle berceau de bois : chaque montée,
Même d’un dièse, augmente son effort. Mais pour descendre, simplement
Relâche sa contrainte !
Gamme qui s’élève avec peine, telle la femme de Loth, regardant en arrière, et
Sitôt qu’elle cède à sa pente, devient plus lasse encore, plus tendre aussi plus
Condamnée, plus entraînée vers les eaux de l’amertume et de la séparation.
Que suis-je, livré à moi-même ?
Le renard pris au piège à dents aiguës se coupe une patte pour retrouver
Sa libre faim parmi les arbres noirs. La chenille se hâte vers le soir
Où elle ira se brûler à la lampe. Le cerf brame après la fraîcheur des eaux.
Rien n’est tout à fait muet.
Même la pierre est active . Rien ne se refuse sauf,
Quand elle se complaît à elle-même dans les ténèbres de sa captivité,
L’âme.
1-
Dans la notation allemande, B = si bémol ; A = la ; C = do ; H = si naturel.
Ainsi traduit le nom de Bach constitue un thème en si bémol mineur, qu’il a utilisé comme troisième thème dans la grande fugue inachevée de l’Art de la Fugue.
Jean-Paul de Dadelsen, Jonas, suivi de Les Ponts de Budapest et autres poèmes, Poésie/Gallimard n° 405, 2005, p. 31