Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Jules Supervielle Rencontre avec Jules Supervielle (1884- 1960 ): La mort des étoiles

Écoutez Gilles-Claude Thériault

La mort des étoiles

Elle passa comme un parfum de fleur d'automne.

J'espérais la revoir et ne la voyais plus ;

Mon cœur était lassé de ne trouver personne,

Mes yeux étaient lassés d'avoir été déçus.


Un soir, comme j'errais, pensif et rêvant d'elle,

Que je voyais au loin les plaines s'endormir,

Et les horizons roux devant la nuit grandir,

Et, comme le soleil, l'oiseau fermer son aile,

Dans l'ombre, j'effeuillais mes amours, lentement,

Et lorsque j'eus fini, je regardais derrière

Ce qu'il était resté de cet effeuillement

Des étoiles d'argent s'élevaient de la terre…


Mais, soudain, je la vois, d'un pas calme et serein,

S'avancer lentement, délicieusement lasse,

Je la vois... elle vient... de mon bras je l'enlace,

Elle ferme les yeux comme pour voir plus loin.


« Oh ! laisse-moi les voir, tes yeux bleus, dans la nuit.

On dit qu'il est des cieux où l'on ne saurait dire

Si l'azur qui commence est l'azur qui finit,

Mais je n'ai jamais vu, quand je les vois sourire,

Ni rien de plus profond, ni rien de plus lointain

Que l'azur de tes yeux, ni rien de plus intense,

Et lorsqu'on croit qu'il va finir, il recommence !…

Les larmes de tes yeux s'en viennent de bien loin.

Oh ! laisse.... Je voudrais les boire une par une,

Tes larmes, doucement, sous ces rayons de lune…

Viens... Viens... Ne veux-tu pas, dans le bois frissonnant

Où se perd la chanson que murmure le vent,

Nous promener tous deux auprès de l'étang pâle

Que reflète, songeur, le triste peuplier ?…

Par cette nuit si bleue, où toute fleur exhale

Son parfum le plus doux qu'elle sait le dernier,

Ne sens-tu pas neiger, en ton cœur, des étoiles ?…

La nuit n'a pas voulu vêtir ses sombres voiles,

Elle a voulu, ce soir, se vêtir de rayons…

C'est une nuit d'amour... Partons. La lune claire

Doit rêver des baisers qu'elle a vus sur la terre,

Viens... le rossignol chante en la forêt... Partons… »


Et la lune d'argent vit derrière une branche

Un couple d'amoureux qui passait lentement,

Et, frissonnant un peu du haut du firmament,

Elle continua sa route, calme et blanche…


Le lendemain matin, lors des premiers rayons,

Les amants enlacés dormaient dans un grand rêve,

Et le soleil radieux qui, dans les ors se lève,

Vit leur enlacement et caressa leurs fronts…

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Ses blonds rayonnements me trouvèrent heureux…

Mais je me rappelais mon rêve de la veille,

Ce rêve tant aimé, je voulais qu'il s'éveille !…

Les rêves qu'on atteint ne sont jamais si bleus…


Lorsque l'aurore naît des ombres de la nuit

On voit trembler la douce étoile qui s'enfuit ;

Aux rayons du soleil son éclat est plus pâle ,

Elle s'efface et meurt comme un parfum s'exhale


Mon rêve avait été comme l'étoile aux cieux,

J'avais cru qu'il serait au soleil plus radieux,

Mais il avait besoin, pour être, de ses voiles…

Les rayons du soleil font mourir les étoiles…

La Nouvelle Revue, année 23, tome 16, 1902