Écoutez Jules Supervielle
Saisir
Saisir, saisir le soir, la pomme et la statue,
Saisir l’ombre et le mur et le bout de la rue.
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Saisir le pied, le cou de la femme couchée
Et puis ouvrir les mains. Combien d’oiseaux lâchés
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Combien d’oiseaux perdus qui deviennent la rue
L’ombre, le mur, le soir, la pomme et la statue!
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Grand Dieu dans ce visage ,
Qui vous a placé là ?
De quel vaisseau sans mâts
Êtes-vous l’équipage ?
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Depuis quel abordage
attendez-vous ainsi
Ouverts toute la nuit ?
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Feux noirs d’un bastingage
Étonnés mais soumis
A la loi des orages .
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Prisonniers des mirages ,
Quand sonnera minuit
Baissez un peu les cils
Pour reprendre courage .
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Saisir quand tout me quitte,
Et avec quelles mains
Saisir cette pensée,
Et avec quelles mains
Saisir enfin le jour
Par la peau de son cou,
Le tenir remuant
Comme un lièvre vivant ?
Viens, sommeil, aide-moi,
Tu saisiras pour moi
Ce que je n’ai pu prendre
Sommeil aux mains plus grandes.