L’oubli me pousse et me contourne
Avec ses pattes de velours,
Il est poussé par le silence
Et l’un de l’autre ils font le tour,
Doucereux étouffeurs d’amour.
On sait toujours à quoi ils pensent
Et c’est aux dépens de nos jours,
Eux qui confondent leurs contours
Et l’un l’autre se recommencent
Pour mieux effilocher nos jours
Jusqu’à l’ultime transparence,
Tout en faisant le cœur plus lourd
Pour presque empêcher son avance.
Voilà, voilà qu’ils l’ont glacé !
C’est leur façon de terrasser.
Oh ! que je tâte cette pierre
Qu’éclaire l’étoile polaire !
Ami silence de minuit
Ecoutons ensemble les bruits
D’une vie près d’être écoulée,
Pourchassons-la jusqu’aux roseaux
Où les bruits étouffent dans l’eau
Une eau par soi-même comblée
(elle ne sait rien du ruisseau
qui se cherchait dans la vallée).
Ami silence de minuit,
O toi qui jamais ne m’as nui,
Lune d’un soleil d’indolence,
Mais qui met la main sur l’immense,
Quand les roses du jour sont mortes
Et deviennent roses de nuit
A l’obscurité calculée
Pour nos plus secrètes allées,
Ami silence de minuit,
Toi dont le cauteleux velours
Nous enveloppe de toujours
Tu laisses tomber tes pétales
De ton bâillement de crotale
Qui pourrait mordre s’il voulait
Mais préfère nous consoler
Quand sur nos têtes il balance
Les sphères de la délivrance.
Jules SUPERVIELLE in Oublieuse mémoire © Œuvres poétiques complètes, Gallimard 1996,
p.489