Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Victor Segalen Rencontre avec Jules supervielle : L’oubli me pousse et me contourne

L’oubli me pousse et me contourne


Avec ses pattes de velours,


Il est poussé par le silence


Et l’un de l’autre ils font le tour,


Doucereux étouffeurs d’amour.


On sait toujours à quoi ils pensent


Et c’est aux dépens de nos jours,


Eux qui confondent leurs contours


Et l’un l’autre se recommencent


Pour mieux effilocher nos jours


Jusqu’à l’ultime transparence,


Tout en faisant le cœur plus lourd


Pour presque empêcher son avance.


Voilà, voilà qu’ils l’ont glacé !


C’est leur façon de terrasser.


Oh ! que je tâte cette pierre


Qu’éclaire l’étoile polaire !


 Ami silence de minuit


Ecoutons ensemble les bruits


D’une vie près d’être écoulée,


Pourchassons-la jusqu’aux roseaux


Où les bruits étouffent dans l’eau


Une eau par soi-même comblée


(elle ne sait rien du ruisseau


qui se cherchait dans la vallée).



Ami silence de minuit,


O toi qui jamais ne m’as nui,


Lune d’un soleil d’indolence,


Mais qui met la main sur l’immense,


Quand les roses du jour sont mortes


Et deviennent roses de nuit


A l’obscurité calculée


Pour nos plus secrètes allées,



Ami silence de minuit,


Toi dont le cauteleux velours


Nous enveloppe de toujours


Tu laisses tomber tes pétales


De ton bâillement de crotale


Qui pourrait mordre s’il voulait


Mais préfère nous consoler


Quand sur nos têtes il balance


Les sphères de la délivrance.


 Jules SUPERVIELLE in Oublieuse mémoire © Œuvres poétiques complètes, Gallimard 1996,

p.489