Dans T'ang l'obscur - Mémorial de l'encre (Voix d’encre , 2019) le poète Marc Alyn rend hommage à son ami disparu, T'ang Haywen . Dans ses Mémoires, qui viennent de paraître sous le titre Le Temps est un faucon qui plonge (Pierre-Guillaume de Roux, 2018),Marc Alyn consacre des pages émouvantes au peintre T'ang Haywen,
Marc Alyn y écrit notamment :
« Je m'interrogeais sur la nature de cet oiseleur fragile et indestructible. Qui pouvait rivaliser avec lui côté solitude ? Mais, par ailleurs, qui fut jamais moins seul ? Voyageur immobile, T'ang se tenait aux aguets du visible tel l'insecte qui adopte la couleur et la forme de son environnement, passant inaperçu par souci de sauvegarder son irréductible singularité. Art de lisières, de confins, territoire frontalier livrant une vue imprenable sur l'au-delà. Scribe en lévitation courbé sur ses couleurs, ses pinceaux et ses songes, Haywen capturait le ciel à travers le piège de ses cils. Ainsi surgiront ces lagunes du bout du monde où, sous la torsion des vents marins, tremblent de noirs roseaux »
Voilà quelques extraits de ce livre , ponctués de commentaires de Carole Carcilo Mesrobian (parus dans un article du site « recoursaupoeme.fr »):
« Au milieu des reproductions des oeuvres picturales (encres et lavis) de T’ang Haywen, des poèmes courts et centrés, sans titre, sur les pages de gauche font face à des paragraphes en italiques pages de droite. Certains des poèmes n’ont pas de titre, d’autres qui apparaissent régulièrement portent le même titre « Paroles de T’ang ». La forme du poème n’est pas fixe, et les longueurs sont en général assez courtes, sortes de petits pavés justifiés pour la prose, centrés pour les vers, sortes d’évocations de l’esthétique graphique qui rythme les calligraphies qui accompagnent la poésie" :
Présentation du livre
Paroles de T’ang
Le temps feignait de somnoler à l’écart
le compteur arrêté
quand j’atteignis le point de non-retour
en oeil insondable de l’ange.
Sans doute avais-je franchi par mégarde
le chemin de halage
au bord des soleils incréés ?
D’un seul élan l’invisible
clouait au sol sa proie
et je rêvais des vies déjà vécues
(tenues de fusillés robes de bal
subtilisés au vestiaire de l’Histoire)
à seule fin de me défiler
sans laisser plus de trace
qu’un flocon pris au piège
dans les closeries du cristal.
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« Les paragraphes des pages de gauche énoncent une voix qui est située dans une des strates temporelles indéfinie mais dont on pressent qu’il s’agit des pensées des deux artistes lorsqu’ils étaient réunis, de leurs silences aussi sûrement, de cette communauté d’esprit. »
Tout s’acheminait vers le vide : zéro pointé. Le
temps méticuleux biffait nos empreintes digitales
sur les objets compromis dans le meurtre. Une
certaine densité de ténèbres arrondissait les angles
de nos cellules monacales au fond des puits
assoiffés. Si proches et néanmoins inaccessibles, s’ou-
vraient d’inextricables galeries aux parois de sel
gemme menant à la chambre des Machines.
Quelques miroirs empoussiérés tenaient lieu de
fenêtres. Fatigués d’avoir trop escaladé les cieux,
les pendus arrimés aux lustres se contorsionnaient,
emmêlés au cordon ombilical.
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« L’Art, cette langue commune, cette langue des âmes réconciliées des Hommes, et ce miracle, comme un tao qui avale le silence dans le silence, pour restituer l’ampleur d’un langage qui est celui d’une communauté fraternelle. Tel est T’ang l’obscur. »
Paroles de T’ang
Quelle page contiendrait le poème du monde ?
— chuchotait-il— creusant les marches de la glace
afin de surprendre au nid le phénix
en léthargie dans son berceau torride.
L’allégeance d’un lézard d’un coq d’un coquillage
déploie devant mes pas
l’univers replié un milliard de fois sur lui-même.
Heureux ceux qui vont seuls dans l’amitié des
arbres !
Quand le vent papillonne
sous les jupes des amandiers
il est sage d’oublier la mort-balle perdue
en vue de chevauchées hors les murs
jusqu’au point où fini et infini s’étreignent
au confluent de l’étincelle et de la flamme.
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Paroles de T’ang
Le sommeil — confiait-il— est un lieu traversier
qu’empruntent nos géniteurs immémoriaux
nomades du clair-obscur
sujets à des absences
affublés d’oripeaux de pourpre rapiécés
porteurs de baluchons
que gonfle un passé rauque.
Les hors-venus des neiges morfondues
franchissaient d’une voltige les remparts
et l’eau serrée des douves
sur des radeaux de branchages.
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Je parlerai encore —décrétait-il—
des espaces gordiens à l’intérieur de l’homme
où le désert s’unit aux vergers aux sépulcres :
région de poussière et de suie
ultime retranchement de l’esprit en partance
au-dessous du niveau de la mort.
Présentation du livre