I
Rien
et pourtant pas le vide :
plutôt que rien ,
un rien .
II
Sans doute
il ne s'en faut que d'un fil
mais un rien
ça n'est pas rien !
Fil tordu ,
grain fendu
suffisent pour que le vide
en moins que rien
se vide de tout son vide .
iii
Arraché au revers du miroir ;
ce qui
– pâture pour nous –
pointe vers notre oeil
devrait , lourd ou léger ,
être cela de moins
qu'absorbera le côté pile .
IV
Fragile filière
pour qu'à l'instant
sur la terre éraillée
nos couleurs s'étendent comme un baume :
tracer ,
nommer ,
marier poussière et gouttes d'eau .
V
Filon minier ,
fil d'Ariane
ou corde pour se pendre
seules nous touchent
les images à double tranchant
qui dessillent et ravagent .
VI
Rien qu'un rayon
rien qu'un chiffre .
Découvrir le point de fuite
qui mène à l'obscur réduit
où la foudre s'engouffre .
VII
Foulées creusant le sable ,
empreintes digitales ,
coeurs gravés dans la peau des arbres ,
filets de graffitis sur les murs d'un cachot ,
rides et cicatrices
en quoi la vie se résume ,
encoches de bâton ,
noeuds au mouchoir ,
tatouages
à la teneur d'archives ou de pedigree ,
signes de quelque chose qui s'est passé
ou allait se passer ,
même à jamais perdues
ces traces
persistent peut-être à peser
de toute leur minceur
sur l'inanité du rien .
VIII
À moins qu'ils ne laissent dans l'espace ruiné
une file d'impalpables moulages ,
si tout retourne à zéro
pourquoi faire comme si
aux pages d'un livre d'or
nos gestes restaient éternellement inscrits ?
IX
Devenir
par quelle chance ?
la plaque qui recrache plus vivant
ce que l'eau-forte a mordu ,
souvenirs ,
usures ,
dont on se sait lesté
sans plus savoir par quoi .
X
Parier sur un peu
c'est oser beaucoup.
Mais rien n'étant
–le trait tiré–
à gagner ou à perdre ,
plein et creux
sont à renvoyer dos à dos .
XI
Au joint de la veille et du rêve ,
de la parole et du silence ,
comment trouver
ni sa saison ni même son heure
mais sa minute sans horloge ni balance ,
sans monnaie ni cordeau ?
XII
Furtive poussée de lave
(le temps , hors cadran , d'un éclair
ou d'un battement de cils ) ,
tout ajout ,
tache
ou infléchissement
n'est-il pas
– viol , dol , rapt –
un acquêt sur la neutralité des choses ?
XIII
Du blanc au noir ,
du oui au non
l'aiguille , jour et nuit , oscille
Tout est au mieux
tant que dure
ce mouvement nauséeux .
XIV
Réglé ,
fixé ,
maté ,
rien n'est plus rien
quand rien n'est plus en suspens .
Rouge ou noir ,
lumière ou ombre ,
faudra-t-il à tout coup
jouer le tout pour le tout
si rien n'existe qui ne tienne à un fil ?