Association Encrier - Poésies

Ossip Mandelstam Rencontre avec Ossip Mandelstam : Je me suis lavé, de nuit, dans la cour

Réédition du billet du 28 mars 2016

Écoutez une traduction à la volée par André Markowicz(en 2006) avec lecture du poème en russe)

(Extrait d'une émission de France Culture de 2006)

Je me suis lavé, de nuit, dans la cour,


Le ciel brillait d'étoiles grossières.


Leur lueur est comme du sel sur la hache,

Le tonneau, plein jusqu'au bord, refroidit.



Le verrou est tiré sur le portail


Et la terre, en conscience, est rude.

  
De trame plus pure que la vérité

  De cette toile fraîche, on n'en trouvera pas.


Dans le tonneau, l'étoile fond comme du sel


Et l'eau glacée se fait plus noire,

  
Plus pure la mort, plus salé le malheur,

Et la terre plus vraie et redoutable.


 
                        1921

Ossip Mandelstam, traduction de Philippe Jaccottet, page 47 de Simple promesse, édition La Dogana.

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Commentaire de Philippe Jaccottet :

«Je me suis lavé, de nuit, dans la cour : je trouvais dans ce peu de mots, d'abord, le précipité poétique de choses réelles, appartenant au monde extérieur, un tonneau, une porte avec son verrou, du sel, une hache, de la toile (et peu importait qu'elles ne fussent pas nécessairement sur le même plan) ; avec cela, ces autres choses visibles, plus vastes, mais usées par l'exploitation lyrique au point d'être devenues presque imprononçables : l'eau, la nuit, le ciel, les étoiles, la terre. Et ces choses vastes reprenaient vigueur et vérité à la fois parce qu'elles se rattachaient aux premières, plus modestes, domestiques, particulières, et parce qu'elles étaient éprouvées et énoncées "en conscience" dans toute leur rudesse ; l'eau noire et glacée, les étoiles grossières, la terre rude"..."Nul apaisement, nulle harmonisation des contraires à la fin ; pas davantage de ces fortissimos ou pianissimos finals qui leurrent l'oreille et l'esprit. Au contraire, une dureté accrue, comme si le monde était devenu de pierre noire, sols, murs et toit, mais aussi de la matière la plus intègre. Oui, j'ai éprouvé ce poème comme un bloc de nuit, dur, froid, mais en même temps cette dureté, ce froid sont un baptême brutal, ce noir est beau comme un morceau de charbon, le malheur même, la mort ont une force de présence, une compacité que je ressens ici comme belles, pleinement approuvées par le cœur ».