Association Encrier - Poésies

Ossip Mandelstam Rencontre avec Ossip Mandelstam : Novellino

Portrait de Dante-Enluminure tirée du manuscrit Divina Commedia-1403-Paris BNF

Novellino

Vous souvient-il comme au printemps,

Dans le livre de Dante,

Les coureurs se jetaient le gant

De leur foi verdoyante ?

En bottines de maroquin

Par les prés velours sombre,

Tels des pavots sur les chemins

Ils émaillaient le monde.


Mais ces bavards de Florentins

Vagabonds et volages,

N'étaient que des menteurs sans frein

Et des tueurs à gages.

Ils ne priaient qu’étant bien ivres

Aux sons du carillon.

Au sultan turc allaient offrir

De superbes faucons.


Hélas, ceux qu'on chauffait à blanc

Ont vu fondre leur cierge,

Les gaillards qui allaient fringants

En camisoles vertes.

Qui domptaient leur honte aisément,

Le choléra, la peste,

Et servaient indifféremment

À la fois plusieurs maîtres.


Et leurs femmes, qui les dira ?

Robes longues, perverses,

Journées comme un rêve où l'on a

Que des devoirs célestes :

Modeler la cire, tendre la soie,

Perroquets à instruire.

Et au lit faire entrer parfois

Des voyous par plaisir.

12 mai 1932

Ossip Mandelstam in Les poèmes de Moscou (1930-1934) Traduction de Henri Abril édition Circé (bilingue) pages 121-23

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La fascination pour les sonorités d'une langue marque cette année 1932.

Mandelstam entreprend avec enthousiasme l'étude de l'italien afin de pouvoir lire les poètes du Moyen Âge et de la Renaissance : Pétrarque, l'Arioste et le Tasse.

Le poème Novellino reprend déjà un épisode de la Divine Comédie de Dante à laquelle l'année suivante il va consacrer le plus important de ses essais : l’Entretien sur Dante.

Ce texte parle de l'exquise sensualité de l'italien qui commence alors à se révéler à lui:

" Dans mon apprentissage de la langue italienne (…) j’ai brusquement compris que le centre de gravité de mon élocution s’était déplacé : plus près des lèvres, vers l'orifice de la bouche. La pointe de la langue étant tout à coup à l’honneur. Le son affluait contre le barrage des dents. Ce qui me frappait en outre, c'était le caractère enfantin de la phonétique italienne, sa magnifique puérilité, son affinité avec le babil de la prime enfance, une manière de dadaïsme intemporel"

Extraits des pages 374 -375 du livre de Ralph Dutli : Mandelstam ,mon temps, mon fauve, une biographie édition La Dogana 2012