Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Pessoa et Claude Régy : Ode maritime Rencontre avec Pessoa-Alvaro de Campos : Troisième extrait de Ode maritime : les pirates

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O , mes héros rudes et velus de l'aventure et du crime !

Mes fauves marins , époux de mon imagination !

Amants occasionnels de mes sensations obliques !

Je voudrais être Celle qui vous attendrait dans les ports ,

Vous , odieux aimés en songe pour votre sang de pirates !

Car avec vous , mais seulement en esprit , elle s'acharnerait

Sur les cadavres nus des victimes que vous faites en mer !

Car elle accompagnerait vos crimes , et dans l'orgie océanique ,

Son esprit de sorcière danserait , invisible , autours des gestes

De vos corps , de vos coutelas , de vos mains d'étrangleurs !

Et elle , à terre , en attendant que vous veniez , si d'aventure vous veniez ,

Irait boire aux rugissements de votre amour tout le vaste ,

tout le brumeux et sinistre parfum de vos victoires ,

Et à travers vos spasmes sifflerait un sabbat rouge et jaune !


La chair déchirée , la chair ouverte , éventré , le sang qui coule !

Maintenant, à l'apogée précis du songe de vos actes ,

Je m'échappe à moi-même , je ne vous appartiens plus , je suis vous ,

Ma féminité qui vous accompagne est d'être vos propres âmes !

Me trouver à l'intérieur de votre férocité quand vous la pratiquiez ,

Sucer de l'intérieur votre conscience de vos sensations

Quand vous teigniez de sang les hautes mers ,

Quand il vous arrivait de jeter aux requins

Les corps encore vivants des blessés , la chair rosée des enfants ,

En amenant leurs mères au bastingage pour qu'elles voient ce qui leur arrivait !


Me trouver avec vous dans le carnage , dans le pillage !

Me trouver orchestré avec vous dans la symphonie des saccages !

Ah ! Je ne sais plus quoi , combien de choses je voudrais être avec vous !

Non seulement être vous - la - femelle , être vous - les - femelles , être vous - les victimes ,

Vous - les victimes ––hommes , femmes , enfants , navires ––

Non seulement être l'heure et les bateaux et les flots ,

Non seulement être vos âmes , vos corps , votre fureur , votre possession ,

Non seulement être concrètement votre acte d'orgie abstrait ,

Non seulement tout cela –– ce serait plus que cela , le Dieu - cela !

Il faudrait être Dieu , le Dieu d'un culte à l'envers ,

Un Dieu monstrueux et satanique , un Dieu d'un panthéisme de sang ,

Pour donner toute la mesure de ma fureur imaginative ,

Pour ne jamais pouvoir épuiser mes désirs d'identité

Avec la partie et le tout et le plus - que - tout de vos victoires !

Ah ! Torturez - moi pour me guérir !

Ma chair –– faites - en l'air que vos sabres pourfendent

Avant de s'abattre sur les têtes et sur les épaules !

Que mes veines soient les habits lacérés par vos poignards !

Mon imagination , le corps des femmes que vous violez !

Mon intelligence , le pont où vous êtes debout en train de tuer !

Ma vie entière , dans son ensemble nerveux , hystérique , absurde ,

Le grand organisme dont chaque acte de piraterie perpétré

Serait une cellule consciente –– et que tout entier je tourbillonne ,

Immense pourriture tournoyante , et que je vois tout cela !

Avec une vitesse maintenant démesurée , effroyable ,

La machine de fièvre de mes visions déchainées

Tournoie et ma conscience - volant

N'est plus qu'un cercle de brume sifflant dans l'air .

Fifteen men on the Dead Man's Chest

Yo - ho ho and a bottle of rum !


Eh - la hô - la - hô - laHO - - - - la ha - aaa - - -aaa …


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Ah ! La sauvagerie de cette sauvagerie ! Merde

A toute vie comme la nôtre qui n'est rien de tout cela !

Me voici , moi , ingénieur , pragmatique malgré moi , sensible à tout ,

Me voici par rapport à vous arrêté , alors même que je marche ,

Inerte , même quand j'agis ; faible , même quand je m'impose ,

Statique , brisé , couard dissident de votre Gloire ,

De votre grande dynamique stridente , chaude et sanglante !


La barbe ! Ne pouvoir agir en accord avec mon délire !

La barbe ! Etre toujours accroché aux jupons de la civilisation !

Traîner la douceur des moeurs sur mon dos comme un balluchon de dentelles !

Colporteurs que nous sommes tous dans l'humanitarisme moderne !

Imbéciles de phtisiques , de neurasthéniques , de lymphatiques ,

Sans le courage , la violence et l'audace d'être des hommes ,

L'âme comme une poule attachée par la patte !


Ah ! Les pirates ! les pirates

La soif de l'illégal uni au féroce ,

La soif des choses absolument cruelles et abominables

Qui ronge comme un rut abstrait nos corps débiles ,

Nos nerfs féminins et délicats ,

Et injecte de grandes fièvres folles dans nos regards vides .

(Traduction de Dominique Touati )