O , mes héros rudes et velus de l'aventure et du crime !
Mes fauves marins , époux de mon imagination !
Amants occasionnels de mes sensations obliques !
Je voudrais être Celle qui vous attendrait dans les ports ,
Vous , odieux aimés en songe pour votre sang de pirates !
Car avec vous , mais seulement en esprit , elle s'acharnerait
Sur les cadavres nus des victimes que vous faites en mer !
Car elle accompagnerait vos crimes , et dans l'orgie océanique ,
Son esprit de sorcière danserait , invisible , autours des gestes
De vos corps , de vos coutelas , de vos mains d'étrangleurs !
Et elle , à terre , en attendant que vous veniez , si d'aventure vous veniez ,
Irait boire aux rugissements de votre amour tout le vaste ,
tout le brumeux et sinistre parfum de vos victoires ,
Et à travers vos spasmes sifflerait un sabbat rouge et jaune !
La chair déchirée , la chair ouverte , éventré , le sang qui coule !
Maintenant, à l'apogée précis du songe de vos actes ,
Je m'échappe à moi-même , je ne vous appartiens plus , je suis vous ,
Ma féminité qui vous accompagne est d'être vos propres âmes !
Me trouver à l'intérieur de votre férocité quand vous la pratiquiez ,
Sucer de l'intérieur votre conscience de vos sensations
Quand vous teigniez de sang les hautes mers ,
Quand il vous arrivait de jeter aux requins
Les corps encore vivants des blessés , la chair rosée des enfants ,
En amenant leurs mères au bastingage pour qu'elles voient ce qui leur arrivait !
Me trouver avec vous dans le carnage , dans le pillage !
Me trouver orchestré avec vous dans la symphonie des saccages !
Ah ! Je ne sais plus quoi , combien de choses je voudrais être avec vous !
Non seulement être vous - la - femelle , être vous - les - femelles , être vous - les victimes ,
Vous - les victimes ––hommes , femmes , enfants , navires ––
Non seulement être l'heure et les bateaux et les flots ,
Non seulement être vos âmes , vos corps , votre fureur , votre possession ,
Non seulement être concrètement votre acte d'orgie abstrait ,
Non seulement tout cela –– ce serait plus que cela , le Dieu - cela !
Il faudrait être Dieu , le Dieu d'un culte à l'envers ,
Un Dieu monstrueux et satanique , un Dieu d'un panthéisme de sang ,
Pour donner toute la mesure de ma fureur imaginative ,
Pour ne jamais pouvoir épuiser mes désirs d'identité
Avec la partie et le tout et le plus - que - tout de vos victoires !
Ah ! Torturez - moi pour me guérir !
Ma chair –– faites - en l'air que vos sabres pourfendent
Avant de s'abattre sur les têtes et sur les épaules !
Que mes veines soient les habits lacérés par vos poignards !
Mon imagination , le corps des femmes que vous violez !
Mon intelligence , le pont où vous êtes debout en train de tuer !
Ma vie entière , dans son ensemble nerveux , hystérique , absurde ,
Le grand organisme dont chaque acte de piraterie perpétré
Serait une cellule consciente –– et que tout entier je tourbillonne ,
Immense pourriture tournoyante , et que je vois tout cela !
Avec une vitesse maintenant démesurée , effroyable ,
La machine de fièvre de mes visions déchainées
Tournoie et ma conscience - volant
N'est plus qu'un cercle de brume sifflant dans l'air .
Fifteen men on the Dead Man's Chest
Yo - ho ho and a bottle of rum !
Eh - la hô - la - hô - laHO - - - - la ha - aaa - - -aaa …
Ah ! La sauvagerie de cette sauvagerie ! Merde
A toute vie comme la nôtre qui n'est rien de tout cela !
Me voici , moi , ingénieur , pragmatique malgré moi , sensible à tout ,
Me voici par rapport à vous arrêté , alors même que je marche ,
Inerte , même quand j'agis ; faible , même quand je m'impose ,
Statique , brisé , couard dissident de votre Gloire ,
De votre grande dynamique stridente , chaude et sanglante !
La barbe ! Ne pouvoir agir en accord avec mon délire !
La barbe ! Etre toujours accroché aux jupons de la civilisation !
Traîner la douceur des moeurs sur mon dos comme un balluchon de dentelles !
Colporteurs que nous sommes tous dans l'humanitarisme moderne !
Imbéciles de phtisiques , de neurasthéniques , de lymphatiques ,
Sans le courage , la violence et l'audace d'être des hommes ,
L'âme comme une poule attachée par la patte !
Ah ! Les pirates ! les pirates
La soif de l'illégal uni au féroce ,
La soif des choses absolument cruelles et abominables
Qui ronge comme un rut abstrait nos corps débiles ,
Nos nerfs féminins et délicats ,
Et injecte de grandes fièvres folles dans nos regards vides .
(Traduction de Dominique Touati )