Association Encrier - Poésies

Rencontre avec divers poètes Rencontre avec Robert Frost(1874-1963) : À une phalène rencontrée en hiver

À une phalène rencontrée en hiver

Voici ma main dégantée, toute chaude encore,

Lieu de halte et perchoir entre un bois et un autre,

Petit être aux yeux noirs et au corps argenté

Marqué de brun , et aux ailes non point pliées

Paresseusement, mais largement déployées .

(Quel peut bien être ton nom? Je me le demande,

Et je le saurais si tu étais une fleur.)

Dis moi donc ce qui t’a leurré de faux espoirs,

Fait tenter l’aventure de l’éternité

Et rechercher l’amour au plein coeur de l’hiver .

Reste et écoute-moi. Il me semble vraiment

Que pour une créature si aérienne

Tu te donnes beaucoup trop de mal pour voler

Et t’exténues pour te soutenir dans les airs .

L’amour et toi ne vous rencontrerez jamais .

Ce que je déplore en toi, c’est un trait humain :

Ce manque extraordinaire d’opportunisme

Qui est la seule vraie source de tous nos maux.

Mais va, tu as raison et vaine est ma pitié.

Va , tu seras bientôt tout détrempé et mort .

Tu dois être plus innocent que moi et plus sage,

Si tu sais que la main que je t’avais tendue

Sans réfléchira au-dessus du gouffre du monde,

Peut t’atteindre, mais ne peut changer ton destin.

Je ne peux ni changer ta vie ni la sauver,

Je dois pour très peu de temps me sauver moi-même .

Robert Frost