Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Saint - John Perse Rencontre avec Saint-John Perse (1887 - 1975):  I et II de "Pour fêter une enfance"(King Light's Settlements)-1907

Écoutez Sophie Bourel lisant le I

I

Palmes… !

Alors on te baignait dans l’eau-de-feuilles-vertes ; et l’eau encore était du soleil vert ; et les servantes de ta mère, grandes filles luisantes, remuaient leurs jambes chaudes près de toi qui tremblais…

(Je parle d’une haute condition, alors, entre les robes, au règne de tournantes clartés.)

Palmes!et la douceur

d’une vieillesse des racines... !La terre

alors souhaita d’être plus sourde, et le ciel plus profond où des arbres trop grands, las d’un obscur dessein, nouaient un pacte inextricable…

(J’ai fait ce songe,dans l’estime:un sûr séjour entre les toiles enthousiastes.)

Et les hautes

racines courbes célébraient

l’en allée des voies prodigieuses,l’invention des voûtes et des nefs

;et la lumière alors, en de plus purs exploits féconde, inaugurait le blanc royaume où j’ai mené peut-être un corps sans ombre…

(Je parle d’une haute condition, jadis, entre des hommes et leurs filles, et qui mâchaient de telle feuille.)

Alors les hommes avaientune bouche plus grave, les femmes avaient des bras plus lents ;

alors, de se nourrir comme nous de racines, de grandes bêtes taciturnes s’ennoblissaient ;

et plus longues sur plus d’ombre se levaient les paupières…

(J’ai fait ce songe, il nous a consumés sans reliques.)


II

Et les servantes de ma mère, grandes filles luisantes... Et nos paupières fabuleuses….

clartés ! ô faveurs !

Appelant toute chose, je récitai qu’elle était grande, appelant toute bête, qu’elle était belle et bonne.

Ô mes plus grandes

fleurs voraces, parmi la feuille rouge, à dévorer tous mes plus beaux

insectes verts ! Les bouquets au jardin sentaient le cimetière de famille. Et une très petite sœur était morte : j’avais eu, qui sent bon, son cercueil d’acajou

entre les glaces de trois chambres. Et il ne fallait pas tuer l’oiseau-mouche d’un caillou... Mais la terre se courbait dans nos jeux comme fait la servante

celle qui a droit à une chaise si l’on se tient dans la maison.

... Végétales ferveurs, ô clartés ô faveurs !…

Et puis ces mouches, cette sorte de mouches, vers le dernier étage du jardin, qui étaient comme si la lumière eût chanté !

...Je me souviens du sel, je me souviens du sel que la nourrice jaune dut essuyer à l’angle de mes yeux.

Le sorcier noir sentenciait à l’office : « Le monde est comme une pirogue, qui, tournant et tournant, ne sait plus si le vent voulait rire ou pleurer… »

Et aussitôt mes yeux tâchaient à peindre

un monde balancé entre des eaux brillantes, connaissaient le mât lisse des fûts, la hune sous les feuilles, et les guis et les vergues, les haubans de liane,

où trop longues, les fleurs

s’achevaient en des cris de perruches.