Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Saint - John Perse Rencontre avec Saint-John Perse (1887 - 1975): V et VI de "Pour fêter une enfance"(King Light's Settlements)-1907

Écoutez JL.Jemma disant le V

V 
   ... Ô ! j’ai lieu de louer !

   Mon front sous des mains jaunes,

   mon front, te souvient-il des nocturnes sueurs ?

   du minuit vain de fièvre et d’un goût de citerne ?

   et des fleurs d’aube bleue à danser sur les criques du matin

   et de l’heure midi plus sonore qu’un moustique, et des flèches lancées par la mer de couleurs… ?

   Ô j’ai lieu ! ô j’ai lieu de louer !

   Il y avait à quai de haut navires à musique. Il y avait des promontoires de campêche ; des fruits de bois qui éclataient... Mais qu’a-t-on fait des hauts navires à musique qu’il y avait à quai ?

Palmes... ! Alors

   une mer plus crédule et hantée d’invisibles départs,

   étagée comme un ciel au-dessus des vergers,

   se gorgeait de fruits d’or, de poissons violets et d’oiseaux.

   Alors, des parfums plus affables, frayant aux cimes les plus fastes,

   ébruitaient ce souffle d’un autre âge,

   et par le seul artifice du cannelier au jardin de mon père – ô feintes !

   glorieux d’écailles et d’armures un monde trouble délirait.

   (... Ô j’ai lieu de louer ! Ô fable généreuse, ô table d’abondance !)

  VI

   Palmes !

   et sur la craquante demeure tant de lances de flamme !

   ... Les vois étaient un bruit lumineux sous-le-vent... La barque de mon père, studieuse, amenait de grandes figures blanches : peut-être bien, en somme, des Anges dépeignés ; ou bien des hommes sains, vêtus de belle toile et casqués de sureau (comme mon père, qui fut noble et décent).

   ... Car au matin, sur les champs pâles de l’Eau nue, au long de l’Ouest, j’ai vu marcher des Princes et leurs Gendres, des hommes d’un haut rang, tous bien vêtus et se taisant, parce que la mer avant midi est un Dimanche où le sommeil a pris le corps d’un Dieu, pliant ses jambes.

   Et des torches, à midi, se haussèrent pour mes fuites.

   Et je crois que des Arches, des Salles d’ébène et de fer-blanc s’allumèrent chaque soir au songe des volcans,

   à l’heure où l’on joignait nos mains devant l’idole à robe de gala.

   Palmes ! et la douceur

   d’une vieillesse des racines... ! Les souffles alizés, les ramiers et la chatte marronne

   trouaient l’amer feuillage où, dans la crudité d’un soir au parfum de Déluge,

   les lunes roses et vertes pendaient comme des mangues.

                                     *

   ... Or les Oncles parlaient bas à ma mère. Ils avaient attaché leur cheval à la porte. Et la Maison durait, sous les arbres à plumes.

1907.