L'Art
Oui, l'oeuvre sort plus belle
D'une forme au travail
Rebelle,
Vers, marbre, onyx, émail.
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Point de contraintes fausses !
Mais que pour marcher droit
Tu chausses,
Muse, un cothurne étroit.
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Fi du rythme commode,
Comme un soulier trop grand,
Du mode
Que tout pied quitte et prend !
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Statuaire, repousse
L'argile que pétrit
Le pouce
Quand flotte ailleurs l'esprit :
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Lutte avec le carrare,
Avec le paros dur
Et rare,
Gardiens du contour pur ;
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Emprunte à Syracuse
Son bronze où fermement
S'accuse
Le trait fier et charmant ;
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D'une main délicate
Poursuis dans un filon
D'agate
Le profil d'Apollon.
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Peintre, fuis l'aquarelle,
Et fixe la couleur
Trop frêle
Au four de l'émailleur.
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Fais les sirènes bleues,
Tordant de cent façons
Leurs queues,
Les monstres des blasons ;
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Dans son nimbe trilobe
La Vierge et son Jésus,
Le globe
Avec la croix dessus.
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Tout passe. - L'art robuste
Seul a l'éternité.
Le buste
Survit à la cité.
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Et la médaille austère
Que trouve un laboureur
Sous terre
Révèle un empereur.
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Les dieux eux-mêmes meurent,
Mais les vers souverains
Demeurent
Plus forts que les airains.
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Sculpte, lime, cisèle ;
Que ton rêve flottant
Se scelle
Dans le bloc résistant !
Théophile Gautier - Émaux et camées, 1852
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Présentation de Béatrix Dussane :
Le nom de Théophile Gautier est à jamais lié aux épisodes héroïques de la lutte romantique , et pourtant , il n’a rien du poète romantique tel que nous l’admirons chez Lamartine , Hugo ou Musset . Il avait d’abord été peintre . Ce sont les ateliers de peintres et de sculpteurs qu’il avait amené à la bataille , aux batailles d’Hernani,— et l’on pourrait dire , je crois , qu’il resta peintre jusqu’au bout , même la plume à la main .
« Je suis un homme pour qui le monde extérieur existe » , disait-il . Et cela était bien près de signifier qu’il préférait formes et couleurs à toutes choses . C’est par amour du pittoresque et de la couleur qu’il se jeta au romantisme littéraire . Il aima la langue romantique comme il eût aimé la palette d’un peintre : l’art pour l’art , et presque matière de l’art pour la matière de l’art .
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La beauté telle qu’il nous la propose est une victoire de l’esprit sur la matière , qui vaut par la difficulté du combat. Les effusions du coeur en sont volontiers absentes : il faut servir l’art pour l’art et non pour soulager ses peines … C’est ainsi que du vieux tronc romantique maître cette greffe inattendue : l’école du Parnasse . La pièce l’Art est parfaite ; vous le savez , Gautier a traité à son tour , de façon souveraine , le vieux thème déjà familier aux anciens : il ne reste des gloires humaines que les oeuvres d’art qui les ont célébrées .