Association Encrier - Poésies

Rencontre avec divers poètes Rencontre avec Théophile Gautier (1811_1872) : L'Art

L'Art

Oui, l'oeuvre sort plus belle

D'une forme au travail

Rebelle,

Vers, marbre, onyx, émail.

—————————

Point de contraintes fausses !

Mais que pour marcher droit

Tu chausses,

Muse, un cothurne étroit.

——————————

Fi du rythme commode,

Comme un soulier trop grand,

Du mode

Que tout pied quitte et prend !

—————————

Statuaire, repousse

L'argile que pétrit

Le pouce

Quand flotte ailleurs l'esprit :

————————--

Lutte avec le carrare,

Avec le paros dur

Et rare,

Gardiens du contour pur ;

————————

Emprunte à Syracuse

Son bronze où fermement

S'accuse

Le trait fier et charmant ;

—————————

D'une main délicate

Poursuis dans un filon

D'agate

Le profil d'Apollon.

—————————

Peintre, fuis l'aquarelle,

Et fixe la couleur

Trop frêle

Au four de l'émailleur.

—————————

Fais les sirènes bleues,

Tordant de cent façons

Leurs queues,

Les monstres des blasons ;

—————————

Dans son nimbe trilobe

La Vierge et son Jésus,

Le globe

Avec la croix dessus.

—————————

Tout passe. - L'art robuste

Seul a l'éternité.

Le buste

Survit à la cité.

————————-

Et la médaille austère

Que trouve un laboureur

Sous terre

Révèle un empereur.

—————————

Les dieux eux-mêmes meurent,

Mais les vers souverains

Demeurent

Plus forts que les airains.

—————————

Sculpte, lime, cisèle ;

Que ton rêve flottant

Se scelle

Dans le bloc résistant !

Théophile Gautier - Émaux et camées, 1852

:::::::::::::::::::::::::::::::::::::

Présentation de Béatrix Dussane :

Le nom de Théophile Gautier est à jamais lié aux épisodes héroïques de la lutte romantique , et pourtant , il n’a rien du poète romantique tel que nous l’admirons chez Lamartine , Hugo ou Musset . Il avait d’abord été peintre . Ce sont les ateliers de peintres et de sculpteurs qu’il avait amené à la bataille , aux batailles d’Hernani,— et l’on pourrait dire , je crois , qu’il resta peintre jusqu’au bout , même la plume à la main .

« Je suis un homme pour qui le monde extérieur existe » , disait-il . Et cela était bien près de signifier qu’il préférait formes et couleurs à toutes choses . C’est par amour du pittoresque et de la couleur qu’il se jeta au romantisme littéraire . Il aima la langue romantique comme il eût aimé la palette d’un peintre : l’art pour l’art , et presque matière de l’art pour la matière de l’art .

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La beauté telle qu’il nous la propose est une victoire de l’esprit sur la matière , qui vaut par la difficulté du combat. Les effusions du coeur en sont volontiers absentes : il faut servir l’art pour l’art et non pour soulager ses peines … C’est ainsi que du vieux tronc romantique maître cette greffe inattendue : l’école du Parnasse . La pièce l’Art est parfaite ; vous le savez , Gautier a traité à son tour , de façon souveraine , le vieux thème déjà familier aux anciens : il ne reste des gloires humaines que les oeuvres d’art qui les ont célébrées .