Association Encrier - Poésies

Rencontre avec des Peintres Rencontre avec Maria Helena Vieira da Silva (1908-1992): Le testament

L'atelier de l'harmonium 1950

Réédition du billet du 26 décembre 2014

Le Testament 

Je lègue à mes amis…


un bleu céruléum pour voler haut


un bleu de cobalt pour le bonheur


un bleu d'outremer pour stimuler l'esprit


un vermillon pour faire circuler le sang allègrement


un vert mousse pour apaiser les nerfs

un jaune d'or : richesse


un violet de cobalt pour la rêverie


une garance qui fait entendre le violoncelle

un jaune barite : science-fiction, brillance, éclat

un ocre jaune pour accepter la terre

un vert Véronèse pour la mémoire du printemps

un indigo pour pouvoir accorder l'esprit à l'orage

un orange pour exercer la vue d'un citronnier au loin

un jaune citron pour la grâce

un blanc pur: pureté

une terre de Sienne naturelle: la transmutation de l'or

un noir somptueux pour voir Titien

une terre d'ombre pour mieux accepter la mélancolie noire

une terre de Sienne brûlée pour le sentiment de durée

Maria Helena Vieira da Silva

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Extrait du Dictionnaire universel des créatrices © 2013 Des femmes – Antoinette Fouque

Peintre française.

La ville règne sans partage sur la vie et l’œuvre de Maria Helena Vieira da Silva : Lisbonne, le berceau des origines, où, enfant, elle apprend la solitude, l’observation, la contemplation ; Paris, la capitale d’élection, où elle s’établit en 1928 et rencontre la galeriste Jeanne Bucher qui fait connaître son œuvre, et le peintre hongrois Árpád Szenes, compagnon d’une vie ; Rio de Janeiro enfin, la ville de l’exil, que tous deux rejoignent en 1940 – pour retrouver Paris sept ans plus tard. À cette topographie se joignent, dans sa peinture, les villes de passage et les cités imaginaires. Lieux et objets de son enfance influencent un monde intérieur dont sa création picturale rendra témoignage : des bibliothèques et des théâtres, des partitions de musique et des jeux d’échecs, des passages pavés d’azulejos et les dentelles de fer de quelque architecture parisienne. Que son motif premier soit une nature morte, une chambre déserte ou une capitale bruyante, sa peinture adopte volontiers la forme du dédale : un réseau en toile d’araignée, un damier distordu, où l’œil erre, se perd, s’assombrit ou s’éclaire. Ce réseau, que l’on peut comprendre comme une métaphore de la réflexion, demeure fondamentalement une exploration de la perception.

L’artiste est, ici, tout autant sœur des peintres de la Renaissance, qui échafaudaient des théâtres de perspective, que des cubistes, en prise avec les mêmes questions. Cependant, il est difficile d’évoquer Dédale sans songer à Jorge Luis Borges et à Franz Kafka. Ses « labyrinthes » convoquent les mêmes sentiments de peur et de perte, ou d’illumination et de rêve. Ces résilles de peinture peuvent aussi être perçues comme des images de filets, de cages – on rejoint ici Alberto Giacometti ; de toute évidence, conçues au cours de ses années d’exil au Brésil, elles sont avant tout des réflexions autour de la folie, de la violence et de l’oppression, comme en attestent leurs titres : Le Désastre ou la Guerre (1942) ; L’Incendie ou le Feu (1944) ; La Bataille des couteaux (1948). Par la suite, la résille se distend, s’évanouit doucement. Ce sont des trouées de lumière, des échappées libres, un appel du vide, le néant essentiel, immense. Après la mort d’Á. Szenes, tout sujet est effacé. Dans des toiles comme Mémoire seconde (1985), Silence (1984-1988) ou Courants d’éternité (1990), la primauté est désormais au dépouillement, à la vibration, à l’émotion seule.

Anne Lemonnier