Encrier 87

DOCUMENTS Atelier d'écriture au Musée Adrien Dubouché-Exposition Ettore Sottsass au CIRVA, un architecte dans l’atelier: Texte de J.D. : Sottsass et Soleil Hopi

Dans son texte ci-dessous , lu en atelier au Musée , J.D. imagine une rencontre entre de Soleil Hopi et Ettore Sottsass :

"Cette nuit-là , le vieux Soleil Hopi se réveille en sursaut : une de ses poupées Kachina lui parle :"Va vite à Limoges lui dit-elle , va au Musée Adrien Dubouché ; tu y trouveras une quinzaine de mes soeurs qui t'attendent" . Obéissant au terrifiant pouvoir de sa Kachina , Soleil Hopi entreprend le voyage et le voilà dans la salle où sont exposées les Kachinas d'Ettore Sottsass .

Sottsass a pu venir de l'au-delà pour accuellir Soleil Hopi et le guider parmi ses Kachinas .

"Regarde , lui dit-il , comme j'aime le noir : c'est pour cela qu'il y a tant de poupées avec du noir; c'est que j'aime les ténèbres , atténuées ici par le brillant du verre et la lumière . J'ai un faible pour le long nez mystérieux de ma Kachina 10 . La Kachina 7 , si douce , je l'ai choisie pour maison à cause de sa touche de rose et de son oeil ovale . Et toi , Soleil Hopi , quelles sont tes préférées ? " Kachina_10.jpgKachina7.jpg

Soleil Hopi respire longuement avant de répondre : "Vois-tu , dit-il à Ettore , je suis très ému de rencontrer ici toutes nos divinités dans le plus simple appareil. Je suis vraiment tombé amoureux de ta Kachina 5 : j'aime sa rondeur sensuelle; et son collier! …ah! son collier , je ne peux pas en détacher les yeux , la divinité de la fécondité est bien là " Kachina5.jpg

Il ajoute : "La Kachina 2 m'effraie beaucoup avec sa frise noire menaçante prête à tomber dans le bocal . Kachina2.jpg La Kachina 20 et ses 4 crayons est pour moi la fertilité qui attend l'eau: l'eau , c'est très important pour les Hopis ! " Kachina_20.jpg

Sur ce , Ettore doit retourner d'où il vient car la permission accordée s'achève . Avant de partir , il serre Soleil Hopi dans ses bras . Tous les deux sont très émus et ont les yeux humides .

Après le départ d'Ettore , Soleil Hopi décide aussitôt de quitter la salle d'exposition : un avion l'attend sur le tarmac de Bellegarde . Avant de partir , il promet de revenir dans quelque temps : il apportera sa Kachina sacrée au pouvoir terrifiant pour consacrer toutes les Kachinas d'Ettore . Après son départ , un lourd silence s'installe dans la salle : les Kachinas étincellent de mille feux, comme réanimées par les deux visiteurs .

J'ai imaginé avec beaucoup de plaisir la rencontre entre Soleil Hopi et Ettore : dommage que dans la réalité il n'y ait pas eu de rencontre entre ces deux là:

chacun aurait eu beaucoup de choses à dire à l'autre car chacun des deux navigue dans la profondeur des symboles .
Dans l'urgence , je n'ai pas pu écrire tout ce qu'ils se sont dit; mais croyez-moi, ils se sont retrouvés dans l'au-delà et dialoguent pour l'éternité .

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Quelques explications sur Soleil Hopi :

En 1959 , dans la collection Terre Humaine chez Plon est paru "Soleil Hopi", autobiographie de l'Indien Hopi Don C.Talayesva , avec une préface de Claude Lévi-Strauss:

soleil_hopi.jpg

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Cliquer sur : ICIClaude Levi-Strauss présente SOLEIL HOPI (vidéo de l'INA)

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Dans ce livre , des poupées Katcinas sont reproduites :

poupees_kachina_2.jpg

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Sottsass avait un ami designer new-yorkais George Nelson possédant de telles poupées . Un jour l'inconscient de Sottsass les rappelle à sa mémoire :

" J'ai alors dessiné sept Kachinas pour moi-même : le crayon Kachina , l'enfant Kachina , l'ange Kachina , la maison Kachina , la Kachina solitaire, le terrifiant pouvoir Kachina , l'eau Kachina."

Avant sa disparition en 2007 , Sottsass autorise le CIRVA (Centre International de Recherche sur le Verre et les Arts plastiques et l'atelier Van Tetterode à Amsterdam à produire ces oeuvres . (d'après Alexandre Crochet, Le Quotidien de l'Art No 14 24/10/2011 ).

Malheureusement ,il n'a pas été donné de noms aux oeuvres réalisées mais seulement des numéros .

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À l'occasion de l'exposition " Ettore Sottsass au CIRVA, un architecte dans l’atelier", l'éditeur Bernard Chauveau a publié un petit fascicule dans lequel Jeanne Quéheillard écrit ce qui suit sur la magnifique série Kachina :

"La série Kachina , dessinée en 2004’ et réalisée à la fin de sa vie , est d’une acuité troublante .

Dans les croyances et les rites des indiens Hopis et Zunis , les kachinas sont les esprits intermédiaires entre les hommes et les dieux représentés par des danseurs masqués ou par des poupées en bois très colorées que l’on donne aux enfants pour qu’ils se familiarisent avec les esprits protecteurs de la tribu .

Pour Ettore Sottsass, ces esprits ancestraux qui vivent au royaume des morts représentent la figure de l’inconnu tout au cours de notre existence . Le devenir Kachina de l’être humain s’incarne dans cette série d’objets , parfois anthropomorphiques, souvent fantomatiques .

Le verre et ses process transcendent la valeur rituelle et le passage de la vie à la mort des Kachinas . Les esprits surgissent de la « bocca del forno » .Le fantôme « de ce que le verre sera , un fantôme boiteux , brillant et sans couleur , chauffé au rouge , intouchable et fuyant » que rencontre Ettore Sottsass quand il décrit les trois moments excitants du design des objets en verre trouve ici sa pleine expression , matérielle et métaphorique . Les processus rationnels sont mis en suspens au profit de la magie, « technique de l’homme plus grossier et désarmé, plus seul et plus rustre, plus naïf et dépourvu , pourrait-on dire plus libre ? », selon la définition d’Ettore Sottsass .

La série Kachinas réfère explicitement cette position et met en exergue le design auquel il s’attache. Constructions totémiques, empilements fragiles, déséquilibres de masses, vivacités des couleurs, opacités des transparences, images anthropomorphiques : une existence autre et inconnue traverse les objets du quotidien . Ils diffusent autre chose que leur seule utilité .

Jeanne Quéheillard -Pages 8-9 de « Ettore Sottsass au CIRVA, un architecte dans l’atelier »; Bernard Chauveau ,éditeur-2013

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Pour plus d'explications sur les Kachinas , on peut consulter le site d'une enseignante de Strasbourg , qui a organisé une exposition en juin 2013 sur les Indiens Hopis et leurs Kachinas :

Cliquer sur : Soleil Hopi

J'extrais de son site le texte suivant :

"Les poupées kachina sont des objets sacrés pour les indiens, leur portée spirituelle est intacte. Encore maintenant,elles représentent le lien qui les unit à la terre. Ces poupées , recherchées par les collectionneurs, auraient pu devenir des objets commerciaux, des gadgets. Ce n’est pas le cas : elles n’ont pas été trop galvaudées et conservent leur fonction initiale. En France, ce sont les surréalistes qui les ont fait connaître, André Breton notamment. Depuis toujours, les indiens hopi vénèrent les esprits katsina (ou kachina). Lors de rituels dansés, ils revêtent ainsi certains de leurs attributs et les invoquent pour s’attirer leurs bonnes grâces : Fertilité du sol, Pluie, Protection, etc. Il y aurait plus de 400 kachinas dans la cosmologie hopi. Ces esprits régissent toute la vie de la communauté et sont, encore aujourd’hui, régulièrement consultés….et leurs représentations : les poupées hopi Des poupées de bois peintes de vives couleurs, également nommées kachinas et représentant les danseurs sont offertes aux enfants, à l’issue de fêtes, pour qu’ils se familiarisent avec ce monde occulte quelque peu effrayant."

On trouve aussi sur ce site une série de photos de l'association d'aide aux indiens hopis "hopioutreach".

J'en extrais une : celle de la collection de Kachinas de Mike Sweet fondateur de cette association .

collection_de_Kachinas_de_Mike_Sweet___fondatuer_de_hopi_outreach.jpg

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A l'occasion du rappel de ce texte sur les katsina , je place ici des extraits d'un article du journal "Le Monde" du 10/6/2015 :

Des ethnologues dénoncent la vente des objets cultuels des Indiens Hopi

Extraits ;

La vente d’une centaine de katsinam des Indiens Hopi d’Arizona, à Drouot en avril 2013, juin et décembre 2014 et ce mercredi 10 juin a naturellement été un choc pour tous ceux qui connaissent cette tribu et sa culture vivante. Les protestations de tout un peuple à travers son chairman, l’appel répété de l’ambassadeur des Etats-Unis en France, les explications des ethnologues ou encore le référé déposé par Survival International et son avocat, Me Pierre Servan-Schreiber, en avril 2013, auront été vains. Vain également le déplacement à Paris, en décembre 2014 de Mme Humetewa, première juge fédérale d’origine hopi, qui s’est entretenue à ce sujet avec Mme Taubira, ministre de la justice .

La culture des Hopi, petit peuple de 18 000 âmes vivant en Arizona, est encore remarquablement vive même si leur cycle cérémoniel, jadis d’une grande richesse ne demeure complet qu’en un seul village. Un culte pourtant résiste, il a toujours été essentiel à leurs croyances et à leurs pratiques. Il se confond maintenant avec leur existence et constitue ce qu’ils ont de plus « précieux ». Ce sont les katsinam : des danseurs portant des « masques ».

Ces katsinam président à l’initiation des jeunes et doivent absolument demeurer cachés le reste du temps. Ils ne peuvent bien sûr être photographiés, ni dessinés sur place ni, a fortiori, cédés ou vendus. Ils accompagneront chaque individu tout au long de sa vie tissant à travers le temps et l’espace un lien entre les générations. Car les katsinam ont plusieurs dimensions : ce sont les âmes des morts qui reviennent danser avec leurs descendants aux villages à la saison des cultures ; ce sont les nuages qui portent la pluie, la vie, en ces contrées désertiques et, par extension, ce sont les figures diverses de la réalité : animaux, plantes, astres, etc.

Ils permettent, selon les Hopi, le renouveau annuel, malgré la précarité de leur condition. Enfant, un Hopi reçoit des katsinam eux-mêmes des poupées les représentant. Il saura ainsi les reconnaître puis apprendra, à terme, que ces personnages généreux sont en fait ses oncles et pères mais que, lors des danses, les katsinam les revêtent d’une identité ambiguë, essentielle et intime. A sa mort, le visage recouvert d’un masque de coton, il deviendra à son tour nuage…

Patrick Perez (Ethnologue, enseignant-chercheur à l’Ecole nationale supérieure agronomique de Toulouse (ENSAT))

Gilles Colin (Doctorant en ethnologie à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS))

Jean-Patrick Razon (Ethnologue, Survival International France)

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