Le Dictionnaire du Diable
Il y a peu, ici même, nous fîmes connaissance avec Samuel Johnson. Aujourd'hui c'est Ambrose Bierce qui vient à nous. Il fut un homme remarquable, passionné des mots, de leurs sens et de leurs contenus. Né en 1842 en Géorgie. Autodidacte, vétéran de la Guerre de Sécession, écrivain, poète et journaliste. Son nom nous est connu porté par son oeuvre majeure : "le Dictionnaire du Diable". Grâce au Malin il passa ainsi à la postérité. (pour cela vendit-il son âme...?)
Il en dédia la lecture aux "esprits éclairés, préférant le vin sec au vin doux, la raison aux sentiments, l'esprit à l'humour et la langue châtiée à l’argot".
Bierce vécu 72ans (décès à Chihuahua-Mexique en 1914). Le cynisme et la causticité des définitions qu'il compila le rattache (malgré lui ?) à un courant ironiste. Quelques définitions choisies vont nous donner un aperçu de l'esprit de Bierce. (dues ou dédiées au...Diable ces définitions ? Allez savoir…)
Armure : "genre de vêtement porté par celui qui prend un forgeron pour tailleur."
Cadavre : "produit fini dont nous sommes la matière première."
Electeur : " celui qui jouit du privilège sacré de voter pour un homme choisi par un autre."
Enveloppe : "cercueil d'un document, fourreau d'une facture; cosse d'un versement, chemise de nuit d'une lettre d'amour..."
Erudition : "poussière tombée d'un livre dans un crâne vide."
Fidélité : "vertu particulière à ceux qui sont sur le point d'être trahis."
Lundi : "est, dans les pays chrétiens, le jour qui suit le match de foot-ball."
Ministre : "fonctionnaire doté d'un très grand pouvoir et d'une toute petite responsabilité."
Politique : "conduite des affaires publiques en vue d'un avantage privé."
Prier : "demander que l'on annule les lois de l'univers en faveur d'un seul solliciteur, qui reconnait lui-même son indignité."
Raseur :" celui qui parle quand vous voudriez qu'il écoute."
Secourir : "faire un ingrat."
Seul : "en mauvaise compagnie."
Téléphone : "invention du Diable qui annule certains avantages que l'on trouve à tenir à distance une personne désagréable."
Zèle : "trouble nerveux affectant les êtres jeunes et inexpérimentés."
Quinze définitions venues des 998 qui constituent le Dictionnaire entier... Elles font souffler un air acidulé sur notre Monde balisé par nos habitudes devenues certitudes. Ambrose Bierce, allègre pince-sans-rire, exhibe un pessimisme réaliste. Qui plus est lucide concernant le...téléphone ! Aujourd'hui 90% des Français disposent de l'instrument magique, budgétivore et chronophage. Serions nous devenus aimables, respectueux, tolérants et accessibles ? Un pour tous et tous pour un ! Pour s'en convaincre il suffit de monter et descendre la rue J.Jaurès, avec un détour par la place de la Ré, un samedi après-midi... Se souvenir qu'Ambrose publia son travail en 1906 ! Pour l'instrument chéri de notre époque il se montra particulièrement clairvoyant, anticipant les merveilles à venir de notre XXIième siècle. Bierce archétype de l'esprit fort ? A l'évidence oui !
Ambrose Bierce voulait-il s'opposer à un autre dictionnaire qui s'appellerait...la Bible ? Sans doute espérait-il s'exonérer de la morale dominante que le XIXième finissant arborait avec ostentation. Avec "prier" et "secourir", à l'évidence, l'auteur entend s'affranchir d'au moins deux commandements. Tenait-il pour cette impossibilité : "pour Dieu le Diable est le Diable...Mais pour le Diable, Dieu est le Diable..." Ah ! diable...mais à qui doit-on pareil raisonnement ? Quel est donc ce galimatias ? Et, demandons nous, qui a eu l'idée, un jour, de tirer le Diable par la queue ? Surement un athée...genre de ceux qui se targuent de ne craindre ni dieu ni diable...Mais je veux leur rappeler à tous ces beaux sires raisonneurs, que la plus grande ruse du Diable c'est de laisser croire qu'il n'existe pas... Rassurons nous il ne s'agit (peut-être) que d'une...diablerie ! Une de plus et évitons toujours de vouloir diaboliser untel ou une-telle, l'exorcisme n'en sera que meilleur marché...
Ici comment résister à "la" définition qu'A.B. donne d'encrier..." rempli d'un vil composé de tanin, de noir de fumée, de gomme arabique et d'eau; il sert principalement pour faciliter la contagion de la bêtise et pousser au délit de l'intellect... "
Pour ma part je retiendrai "érudition" pour sa valeur universelle, intemporelle et nécessaire. Relevée, quelque part, une approche, ironique, de l'érudition : "...au dessus c'est encombrant, au dessous c'est un piédestal..."
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