Encrier 87

Textes de 2022 Texte de Daniel - 23 avril : Haïku

H A Ï K U

Génial le télétravail !

Son entreprise déclencha tout.

Chargé du suivi comptable des clients de sa boite, pianotant sur PC , afin de transmettre chaque semaine les résultats cumulés sur des Excel bourrés de chiffres.

Mais c'est une visite anodine (un carcinome baso-cellulaire) chez sa dermato qui fut décisif.

Elle lui parla du démarrage d'une expérience, menée par le CNRS et le CHU régional , portant sur l'activité nocturne du cerveau pendant la léthargie, étrange, qui nous échappe en grande partie .

Pour réfléchir il navigua sur le web. Passant de sites en sites il parcourut l'arborescence télématique longuement. Rassuré il revint voir sa dermato pour se déclarer disponible, son travail lui donnant la liberté nécessaire.

La réunion d'infos lui apprit qu'ils-elles étaient six dont un seul garçon, lui...

Il s'agissait de mesurer l'activité nocturne du cerveau avec la pose d'une douzaine de capteurs collés sur le crâne et reliés à un micro-pc portable. Evidemment advint 'la' question... (d'une des filles présentes) :



" ces capteurs on les fixe comment ? en écartant les cheveux ? ou bien quoi ? "

Mouvements divers, murmures grinçants , fusèrent : il fallait tondre totalement les patients-tes pour obtenir des saisies de qualité.

L'intervenant, assez malin, indiqua qu'outre les défraiements prévus, chacun-ne aurait le choix d'une perruque de haute qualité et très seyante.

Deux postulantes se levèrent et partirent sans mot-dire, ni au revoir...

Avec quatre personnes il fut dit que l'expérience serait recevable.

Le jour de la "tonte" les trois filles se voilaient les yeux pour ne rien voir, lui viril, serra les dents. Mais la séance d'essayage, après l'application du baume après-rasage, donna lieu à un fou-rire général . Il remarqua que la grande rouquine se choisissait une perruque à la Jean Harlow. Il se prit à penser qu'il aurait le temps (en 4 mois...) de rechercher, avec elle, leurs 'plus-si-affinités'...

Le protocole prévoyait que, chaque dernière semaine du mois, les participants-tes passeraient leurs nuits à l'hôpital pour analyses poussées, toujours avec un casque mais plus sophistiqué celui-là. Ils dîneraient à la cafétéria et pourraient passer la soirée, jusqu'à 22H, dans le salon TV. Jean Harlow portait des parfums musqués et riait aux éclats à chaque fois qu'il parlait... Il lui raconta la courte vie fracassante de la vedette d'Hollywood. Leurs relations débutaient . . .

Le cerveau humain, encore mal connu malgré les progrès des neurosciences, demeure un champ ouvert aux recherches visant les relations entre l'organe et l'esprit. Les discussions sur ce sujet alimentent les conversations philosophiques et scientifiques axées sur le dualisme, le matérialisme et l'idéalisme.

A l'évidence le rasage des crânes ne représentait que l'aspect visible des recherches en cours. On leur expliqua que l'on tenait à comprendre comment les neurones émettent leurs signaux bio-électriques que les synapses transmettent et le rôle essentiel des dendrites qui relient les neurones entre elles...

<<le dormeur dormait. Habitué à toutes ces électrodes formant un casque léger, relié par un réseau de fils souples. Toutes les pensées, tous les rêves du dormeur transitaient par cet entrelacs filaire aboutissant à l'ordinateur qui traitait et stockait informations, idées, phantasmes, pulsions, et les ressentis au cours du sommeil. Le dormeur dormait. Le rêve récurrent chez lui portait sur la nécessité de ne plus être nu : au sortir la douche, avant de quitter sa voiture, au beau milieu d'un supermarché, ou bien place de la Ré un samedi après-midi.

L'étonnant c'est que personne, dans son rêve, ne semblait le voir.

Le dormeur dormait avec l'écran témoin clignotant en mode verdâtre, et lui il dormait. Il revisitait le Monde constamment.

Surtout le lendemain d'une élection nationale. Le nouveau président était impeccable, portait beau mais...il ne parlait pas une parole de français intelligible, pour les bains de foule il s'en sortait bien avec des "bonjours !" des "comment va ?," et des "mercis !" à profusion sans jamais écouter les réponses.

Mais pour les discours devant les foules il était toujours accompagné de cette jolie blonde, bien habillée et bien coiffée, toujours collée-serrée , lui tenant la main elle lui soufflait son texte. Cette élection sera raide lui avait-on prédit. Le dormeur dormait. Une walkyrie, ressemblant à cette nana rousse passait, au trois-quarts nue, à cheval sur un pégase tricolore.

En dormant le dormeur revisitait les souvenirs de ses visites chez sa dermato qu'il trouvait attrayante...

Le dormeur dormait. Il s'agita en revivant une visite chez un urologue, l'écran verdâtre clignota vite, plus vite, hoqueta...>>

Mais par dessus tout c'était les tempêtes de neige.

Chaque nuit il les subissait. Elles étaient là en permanence revenant toujours. Les flocons étaient toujours plus gros, le vent les chassait à l'horizontale dans sa direction, constamment ; il avançait avec peine car il avait oublié ses raquettes...En regardant derrière lui il essayait de retrouver ses pas.

A plusieurs reprises il faisait demi-tour espérant retrouver les signes permettant le retour...



Sans succès hélas et toujours son rêve devenait cauchemar : il s'affalait dans la neige et avant de perdre connaissance sa dernière pensée, toujours, était :

"première neige"

"ce que j'écris s'efface..."

"ce que j'écris s'efface..."

Commentaires 1

  • Lilah

    Original, inattendu, délicieux!


    Quand les femmes s'approchent de cet homme, dermatologue ou sosie de Jean Harlow, il n'est pas craintif, l'attirance pour l'autre sexe efface toute peur; en revanche, quand le narrateur rêve, l'homme- urologue l'angoisse,(c'est vrai que ce qui touche à l' urinaire et au génital s'approche de l'intime...)


    En tout cas, le danger est bien là, la neige en tempête, déclenchée dans le rêve par l'urologue, malmène notre homme, l'empêche de trouver sa route et va jusqu'à lui enlever ses mots!

    Lilah

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