Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Michel Deguy Rencontre avec Michel Deguy : Extrait de ''A ce qui n'en finit pas : thrène

Écoutez Christian Gonon

Extrait de A ce qui n'en finit pas : thrène, -
Michel Deguy, éditions du Seuil 1995 

(à ma femme disparue en mort le 17 janvier 1994)


« Bien assez tôt viendra le soupir profond substitué aux larmes, qui congédie en même temps qu'il l'évoque le souvenir, la revenance. Je n'aime pas que les ex-proches « fassent tout » pour ne pas même prononcer ton nom, relater une bribe du passé, mais tout pour enfoncer dans l'amnésie, précipiter le Léthé « Bien assez tôt viendra le contraire de l'insomnie ...


Si je n'entoure pas de soin le deuil, qui le fera, et il passera lui aussi dans le futur antérieur. Oui, j'ai trois conférences à préparer cette semaine, mais je devrais ne pas m'y appliquer, mais à toi, à nous. C'est à quoi servait le deuil autrefois.

Je vais repartir avec beaucoup de voyage pour des années, peut-être, désormais aucune de ces distances élargies, qu'elle redouterait, ne nous séparera plus que celle de la fenêtre de Hauterive, au cyprès du cimetière, à l'horizon, distance infinie.

Ou bien faire retraite et méditer tout cela. Mais il faut que je m'habitue à travailler dans les chambres d'hôtel, qui ne seront pas plus étranges que les chambres de la solitude dans nos maisons.

Ne me suis-je pas retiré après le choc indolore 1987 pour écrire le Comité ? Mais c'était dans le bonheur familial, au pied du Ventoux. Renoncer à ce voyage africain, américain, pour écrire d’une traite ce livret ? Ou l'écrire en Afrique…

Avec qui parler ?

Comment vieillir, comment mourir ? Voilà les questions. ».