DÉRIVES
I
Silence glissant sous les alizés
— Toutes les voiles doucement enflées —
Eclats d’écailles sur les vaste mers
Et à babord sur les côtes aperçues
Sous la clameur figée des clairs de lune
Un immobile silence de palmeraies
1982
II
C'était la route de l'or
Pourtant sur les vastes mers
Ou sur les plages balancées par des cocotiers
L’étonnement nous guidait
De l'eau coulait de toutes les images
1982
III
Sur de grandes plages ils se baignèrent nus
D’autres s’égarèrent dans le bleu soudain des tempêtes
1982
IV
Lui cependant doubla le cap et ne trouva pas l'Inde
Et la mer le dévora avec le sens du destin que possède la mer
1982
V
Les hommes nus et noirs je conterai
Et comment parmi nous n'ayant plus
Personne qui leur langue sût entendre
Pour nous entendre ensemble nous dançâmes
1982
VI
Je vous dirai la grande plage blanche
Et les hommes nus et noirs qui dansaient
Pour soutenir le ciel de leurs lances
1982
VII
D'autres diront Seigneur les rumbs et les routes
Je vous dirai la plage où brillait
Le premier matin de la création
Je dirai la nudité à peine créée
La douceur intraitable la vitesse légère
D’hommes encore couleur d'argile et qui crurent
Voir en nous leurs anciens dieux tutélaires
Qui revenaient
1982
VIII
Je vis les eaux les caps les villes les îles
Et des cocotiers le long balancement
Vis des lagunes bleues telles des saphirs
De rapides oiseaux des animaux guettant
Vis des prodiges des surprises des merveilles
Sur les plages vis des hommes nus dansant
Et écoutai de leurs paroles le son grave
Que parmi nous aucun ne sut entendre
Vis des fers des flèches vis des lances
De l’or aussi sous la vague sereine
Et l'éclat changeant d'autres métaux
Vis des perles des coquillages des coraux
Déserts sources tremblantes plaines
Vis le visage d’Eurydice des limbes
Vis la fraîcheur des choses naturelles
De Preste João seul n’eus de nouvelles
La mission confiée n’accomplis
Et racontant tout ce que je vis
ne sais si m’égarai ou découvris
1982
IX
Villes et vilenies
Mais aussi
L'étonnement d'une si grande architecture
Les soies les parfums la douceur
Des voix et des gestes
Les grandes cours de la nuit et sa fleur
De panique et de paix
1982
x
Sombres dieux
Seigneurs de la peur ancienne
Statues qu’un souffle déploie
A la lumière mouvante des bougies
1982
XI
Yeux ouverts du navigateur
Changent ici la lumière l'ombre la couleur
Et les faces et les gestes se modèlent
Selon d'autres lois méticuleuses
Diffèrent le profil de la vague et du rocher
Des queues de dragons suivent les bateaux
1982
XII
Cupidité rongeant la verte émergence des îles au vent
Cupidité rongeant le visage nu de la rencontre
1982
XIII
Chansons au ras de rien
Dans le silence quiet
De la nuit suspendue
Comme quelqu'un qui cherche
Son visage et le manque
1982
XIV
À travers ton cœur passa un bateau
Qui ne cesse sans toi de suivre son chemin
1982
XV
Navigation inverse
Ennui déjà sans Tage
Gris hostie des chambres
Rues désolées
Vers a vers
Lisbonne anti-patrie de la vie
1978
XVï
Il y a dans le roi de Chypre
Un certain mystère
Non seulement d'être grec
Tout en étant assyrien
Mais une certaine quiétude
Et un certain recul
Entre deux guerres —
Son corps d’épi
Colonne de trêves
Habite un certain repos
Que je n'ai jamais rencontré
— Clarté des îles
Que j'ai tant recherchée
1982
XVII
Style manuelin :
Non pas la nef romane où l'ordre
Germinal monte de la terre
Ni le fût d’épi
De la colonne grecque
Mais la fleur des hasards que l’errance
En sa dérive agrège
1979
Sophia de Mello Breyner- Traduit du portugais par Joaquim Vital