Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Julos Beaucarne Hommage à Julos Beaucarne(1936-2021)

HOMMAGE À JULOS BEAUCARNE

Julos, poète, écrivain, auteur-compositeur, et même sculpteur, vient de nous quitter le 18/9/2021 à 85 ans

1-Rappel du billet du 11 / 11 / 2015

Écoutez Julos Beaucarne

À ma mère

O Claire, Suzanne, Adolphine,

Ô ma Mère, des Écaussinnes,


À présent si loin qui dormez,

Vous souvient-il des jours d'été,


Là-bas en Août, quand nous allions,

Pour les visiter nos parents


Dans leur château de Belle-Tête,

Bâti en pierres de chez vous,


Et qui alors nous faisaient fête

À vous, leur fille, ainsi qu'à nous,


En cette douce Wallonie

D'étés clairs là-bas, en Hainaut,


Où nous entendions d'harmonie,

Comme une voix venue d'en-haut,


Le bruit des ciseaux sur les pierres

Et qui chantaient sous les marteaux,


Comme cloches sonnant dans l'air

Ou mer au loin montant ses eaux,


Tandis que comme des éclairs

Passaient les trains sous les ormeaux.


Ô ma Mère des Écaussinnes,

C'est votre sang qui parle en moi,


Et mon âme qui se confine

En Vous, et d'amour, et de foi,


Car vous m'étiez comme Marie,

Bien que je ne sois pas Jésus,


Et lorsque vous êtes partie,

J'ai su que j'avais tout perdu.


O Claire, Suzanne, Adolphine,

Ô ma Mère, des Écaussinnes,


À présent si loin qui dormez,

Vous souvient-il des jours d'été,

Max Elskamp

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2 -- Rappel du billet du 10 /1 /2017

Écoutez Julos Beaucarne

Vieille chanson du jeune temps

Je ne songeais pas à Rose ;

Rose au bois vint avec moi ;

Nous parlions de quelque chose,

Mais je ne sais plus de quoi.


J'étais froid comme les marbres ;

Je marchais à pas distraits ;

Je parlais des fleurs, des arbres

Son oeil semblait dire: " Après ? "


La rosée offrait ses perles,

Le taillis ses parasols ;

J'allais ; j'écoutais les merles,

Et Rose les rossignols.


[Moi, seize ans, et l'air morose ;

Elle, vingt ; ses yeux brillaient.

Les rossignols chantaient Rose

Et les merles me sifflaient.


Rose, droite sur ses hanches,

Leva son beau bras tremblant

Pour prendre une mûre aux branches

Je ne vis pas son bras blanc.


Une eau courait, fraîche et creuse,

Sur les mousses de velours ;

Et la nature amoureuse

Dormait dans les grands bois sourds.]


Rose défit sa chaussure,

Et mit, d'un air ingénu,

Son petit pied dans l'eau pure

Je ne vis pas son pied nu.


Je ne savais que lui dire ;

Je la suivais dans le bois,

La voyant parfois sourire

Et soupirer quelquefois.


Je ne vis qu'elle était belle

Qu'en sortant des grands bois sourds.

" Soit ; n'y pensons plus ! " dit-elle

Depuis, j'y pense toujours.

Victor Hugo Les contemplations

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3 -- Rappel du billet du 15 /1 /2019

L'enfant de la haute mer(1).jpeg

Écoutez Julos Beaucarne

L’Enfant de la haute mer(extrait).-Jules Supervielle

Comment s’était formée cette rue flottante? Quels marins, avec l’aide de quels architectes, l’avaient construite dans le haut Atlantique à la surface de la mer, au-dessus d’un gouffre de six mille mètres? Cette longue rue aux maisons de briques rouges si décolorées qu’elles prenaient une teinte gris-de-France, ces toits d’ardoise, de tuile, ces humbles boutiques immuables? Et ce clocher très ajouré? Et ceci qui ne contenait que de l’eau marine et voulait sans doute être un jardin clos de murs, garnis de tessons de bouteilles, par-dessus lesquels sautait parfois un poisson?

Comment cela tenait-il debout sans même être ballotté par les vagues?

Et cette enfant de douze ans si seule qui passait en sabots d’un pas sûr dans la rue liquide, comme si elle marchait sur la terre ferme? Comment se faisait-il...?

À l’approche d’un navire, avant même qu’il fût perceptible à l’horizon, l’enfant était prise d’un grand sommeil, et le village disparaissait complètement sous les flots. Et c’est ainsi que nul marin, même au bout d’une longue-vue, n’avait jamais aperçu le village ni même soupçonné son existence. L’enfant se croyait la seule petite fille au monde. Savait-elle seulement qu’elle était une petite fille? Elle n’était pas très jolie à cause de ses dents un peu écartées, de son nez un peu trop retroussé, mais elle avait la peau très blanche avec quelques täches de douceur, je veux dire de rousseur. Et sa petite personne commandée par des yeux gris, modestes mais très lumineux, vous faisait passer dans le corps, jusqu’à l’âme, une grande surprise qui arrivait du fond des temps.

Dans la rue, la seule de cette petite ville, l’enfant regardait parfois à droite et à gauche comme si elle eût attendu de quelqu’un un léger salut de la main ou de la tête, un signe amical. Simple impression qu’elle donnait, sans le savoir, puisque rien ne pouvait venir, ni personne, dans ce village perdu et toujours prêt à s’évanouir.

Jules Supervielle