Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Alfred de Musset Rencontre avec Alfred de Musset : Venise

Écoutez Gisèle Casadessus

Venise

Dans Venise la rouge,


Pas un bateau qui bouge,


Pas un pêcheur dans l’eau,


Pas un falot.


Seul, assis à la grève,


Le grand lion soulève,


Sur l’horizon serein,


Son pied d’airain.


Autour de lui, par groupes,


Navires et chaloupes,


Pareils à des hérons


Couchés en ronds,


Dorment sur l’eau qui fume,


Et croisent dans la brume,


En légers tourbillons,

Leurs pavillons.

La lune qui s’efface


Couvre son front qui passe


D’un nuage étoilé


Demi-voilé.


Ainsi, la dame abbesse


De Sainte-Croix rabaisse


Sa cape aux larges plis


Sur son surplis.


Et les palais antiques,


Et les graves portiques,


Et les blancs escaliers


Des chevaliers,


Et les ponts, et les rues,


Et les mornes statues,


Et le golfe mouvant


Qui tremble au vent,


Tout se tait, fors les gardes


Aux longues hallebardes,


Qui veillent aux créneaux


Des arsenaux.


Ah ! maintenant plus d’une


Attend, au clair de lune,


Quelque jeune muguet,


L’oreille au guet.


Pour le bal qu’on prépare,


Plus d’une qui se pare,


Met devant son miroir


Le masque noir.


Sur sa couche embaumée,


La Vanina pâmée


Presse encor son amant,


En s’endormant ;

Alfred de Musset