Association Encrier - Poésies

Rencontre avec André Breton Rencontre avec André Breton : Toujours pour la première fois

Toujours pour la première fois

Toujours pour la première fois

C’est à peine si je te connais de vue

Tu rentres à telle heure de la nuit dans une maison oblique à ma fenêtre

Maison tout imaginaire

C’est là que d’une seconde à l’autre

Dans le noir intact

Je m’attends à ce que se produise une fois de plus la déchirure fascinante

La déchirure unique

De la façade et de mon cœur

Plus je m’approche de toi

En réalité

Plue la clé chante à la porte de la chambre inconnue

Où tu m’apparais seule

Tu es d’abord tout entière fondue dans le brillant

L’angle fugitif d’un rideau

C’est un champ de jasmin que j’ai contemplé à l’aube sur une route des environs de Grasse

Avec ses cueilleuses en diagonale

Derrière elles l’aile sombre tombante des plants dégarnis

Devant elles l’équerre de l’éblouissant

Le rideau invisiblement soulevé

Rentrent en tumulte toutes les fleurs

C’est toi aux prises avec cette heure trop longue jamais assez trouble jusqu’au sommeil

Toi comme si tu pouvais être

La même à cela près que je ne te rencontrerai peut-être jamais

Tu fais semblant de ne pas savoir que je t’observe

Merveilleusement je ne suis plus sûr que tu le sais

Ton désœuvrement m’emplit lex yeux de larmes

Une nuée d’interprétations entoure chacun de tes gestes

C’est une chasse à la miellée

Il y a des rocking-chairs sur un pont il y a des branchages qui risquent de t’égratingner dans la forét

Il y a dans une vitrine rue Notre-Dame-de-Lorette

Deux belles jambes croisées prises dans de hauts bas

Qui sévasent au centre d’un grand trèfle blanc

Il y a une échelle de soie déroulée sur le lierre

Il y a

Qu’à me pencher sur le précipice et de ton absence

J’ai trouvé le secret

De t’aimer

Toujours pour le première fois

André Breton - L'Air de l'eau 1934