Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Apollinaire Rencontre avec Apollinaire : La clef

Couverture du coffret de 2 disques paru en 1968

Extrait du livret du coffret

Écoutez Denis Manuel et Danielle Volle

La Clef

Pour te guider ô toi que j’aime

Vois la veilleuse est allumée

Sont clos mes yeux tout pleins de gemmes


Ouvre tes yeux puisque tu m’aimes

Ouvre pour moi tes yeux fermés


Mets de l’huile dans la veilleuse

J’ai perdu la clef de mes yeux

Mes yeux aux pierres précieuses

Cherche la clef prends la veilleuse


J’emporte la veilleuse adieu


Oh je ne veux pas que tu sortes

L’automne est plein de mains coupées

Non non ce sont des feuilles mortes

Ce sont les mains de ceux qui sortent


Adieu je pars sommeille en paix


J’ai cherché longtemps sur les routes

Passant n’as-tu pas vu la clef


Rentre au logis la belle Ecoute

Tant d’yeux sont clos au bord des routes

Le vent fait pleurer les saulaies


J’ai cherché longtemps par les villes

Où est la clef des yeux fermés

Des clefs J’en ai vu mille et mille

Reste avec moi dans notre ville

Tu ne la trouveras jamais


J’ai cueilli ce brin de bruyère

Mets-le sur ton cœur pour longtemps

Il me faut la clef des paupières


J’ai mis sur mon cœur les bruyères

Et souviens-toi que je t’attends


Je m’achemine vers la ville

Où rêve celui qui m’attend

Je viens à lui Mais m’attend-il

Voici les portes de la ville

Où j’ai laissé mon cœur d’antan

Ouvre si tu m’attends encore

C’est moi c’est moi ta bien-aimée


Ton amoureux hier est mort


Par pitié m’attend-il encore


Hélas j’ai vu ses yeux fermés


Toc Toc Il a fermé sa porte

Et ses yeux pleins de pierreries

Quel est donc ce mort qu’on emporte


Tu viens de toquer à sa porte


Et je suis veuve aux pieds meurtris

J’ai jeté la clef dans le lac

Soient toujours clos les yeux fermés

Je suis veuve le jour de Pâques

Des amants vont au bord du lac

Où je ne reviendrai jamais

La clef des yeux dans l’eau se rouille

Je la rapporterai demain


Mais les yeux que la mort verrouille

La Mort L'Amour La clef se rouille

La nuit descend dans les chemins

Au bord du lac sont les sandales

Et la veilleuse consumée

Sur la robe ont chu des pétales

Deux anneaux d’or près des sandales

Au soleil se sont allumés


Passèrent deux cueilleurs de roses

Vois-tu pas deux anneaux briller


Je vois des fleurs fraîches écloses

Je vois tes yeux je vois nos roses


Je vois deux anneaux d’or à tes pieds

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De ce poème qui date probablement de 1900, écrit à la manière des compositions dramatiques et allégoriques du symbolisme, Apollinaire a extrait des vers pour les utiliser dans "Rhénane d'automne", "L'adieu", "Le retour", qui devient dans Alcools "La dame"..

(Note de Didier Alexandre,page 383 du Livre de poche No33105 :Guillaume Apollinaire-Alcools)