Écoutez Noam Morgenzstern
(lectures des poèmes d'Alcools par la troupe de la Comédie Française, été 2023)
La synagogue
Ottomar Scholem et Abraham Loeweren
Coiffés de feutres verts le matin du sabbat
Vont à la synagogue en longeant le Rhin
Et les coteaux où les vignes rougissent là-bas
Ils se disputent et crient des choses qu’on ose à peine traduire
Bâtard conçu pendant les règles ou Que le diable entre dans ton père
Le vieux Rhin soulève sa face ruisselante et se détourne pour sourire
Ottomar Scholem et Abraham Loeweren sont en colère
Parce que pendant le sabbat on ne doit pas fumer
Tandis que les chrétiens passent avec des cigares allumés
Et parce qu’Ottomar et Abraham aiment tous deux
Lia aux yeux de brebis et dont le ventre avance un peu
Pourtant tout à l’heure dans la synagogue l’un après l’autre
Ils baiseront la thora en soulevant leur beau chapeau
Parmi les feuillards de la fête des cabanes
Ottomar en chantant sourira à Abraham
Ils déchanteront sans mesure et les voix graves des hommes
Feront gémir un Léviathan au fond du Rhin comme une voix d’automne
Et dans la synagogue pleine de chapeaux on agitera les loulabim*
Hanoten ne Kamoth bagoim tholahoth baleoumim**
- Les branches de palmier rituelles dans la fête des Cabanes
**Psaumes, 149, 7 : "Pour faire vengeance sur les nations et châtiment sur les peuples". Apollinaire aurait trouvé cette citation dans le volume VI des Kryptadia (1899 , p.150-151). Un conte bulgare présente un rabbin qui reste dormir chez un notable ; la nuit , l'hôte le voit "travaillant sur la servante" et commentant son acte par ce verset (Scott Bates, Petit glossaire des mots libres d'Apollinaire, Sewanee, Etats-Unis, Scott Bates, 1975, nouvelle édition 1991,p.42)
(notes de Didier Alexandre dans le volume 33105 , Livre de poche Apollinaire, Alcools, Poèmes 1898-1913, p.256)
Guillaume Apollinaire, Rhénanes, Alcools, 1913