Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Apollinaire Rencontre avec Apollinaire : Le bestiaire

Orphée

Admirez le pouvoir insigne

Et la noblesse de la ligne :


Elle est la voix que la lumière fit entendre


Et dont parle Hermès Trismégiste en son Pimandre.

La tortue

Du Thrace magique, ô délire !

Mes doigts sûrs font sonner la lyre.

Les animaux passent aux sons


De ma tortue, de mes chansons.

Le cheval

Mes durs rêves formels sauront te chevaucher,


Mon destin au char d'or sera ton beau cocher


Qui pour rênes tiendra tendus à frénésie,

Mes vers, les parangons de toute poésie.

La chèvre du Thibet

Les poils de cette chèvre et même


Ceux d'or pour qui prit tant de peine


Jason, ne valent rien au prix

Des cheveux dont je suis épris.

Le serpent

Tu t'acharnes sur la beauté.


Et quelles femmes ont été
Victimes de ta cruauté !


Eve, Eurydice, Cléopâtre ;


J'en connais encor trois ou quatre.

Le chat

Je souhaite dans ma maison :


Une femme ayant sa raison,

Un chat passant parmi les livres,


Des amis en toute saison

Sans lesquels je ne peux pas vivre.

Le lion

O lion, malheureuse image


Des rois chus lamentablement,

Tu ne sais maintenant qu'en cage

A Hambourg, chez les Allemands.

Le lièvre

Ne soit pas lascif et peureux


Comme le lièvre et l'amoureux.

Mais que toujours ton cerveau soit


La hase pleine qui conçoit.

Le lapin

Je connais un autre connin

Que tout vivant je voudrais prendre.


Sa garenne est parmi le thym

Des vallons du pays de Tendre.

Le dromadaire

Avec ses quatre dromadaires

Don Pedro d'Alfaroubeira

Courut le monde et l'admira.

ll fit ce que je voudrais faire


Si j'avais quatre dromadaires.

La souris

Belles journées, souris du temps,

Vous rongez peu à peu ma vie.


Dieu ! Je vais avoir vingt-huit ans,

Et mal vécu, à mon envie.

L'éléphant

Comme un éléphant son ivoire,


J'ai en bouche un bien précieux.


Pourpre mort !.. J'achète ma gloire

Au prix des mots mélodieux.

Orphée

Regardez cette troupe infecte

Aux mille pattes, au cent yeux :

Rotifères, cirons, insectes


Et microbes plus merveilleux

Que les sept merveilles du monde


Et le palais de Rosemonde !

La chenille

Le travail mène à la richesse.


Pauvres poètes, travaillons !

La chenille en peinant sans cesse

Devient le riche papillon.

La mouche

Nos mouches savent des chansons

Que leur apprirent en Norvège

Les mouches ganiques qui sont


Les divinités de la neige.

La puce

Puces, amis, amantes même,


Qu'ils sont cruels ceux qui nous aiment !

Tout notre sang coule pour eux.

Les bien-aimés sont malheureux.

La sauterelle

Voici la fine sauterelle,


La nourriture de saint Jean.

Puissent mes vers être comme elle,


Le régal des meilleures gens.

Orphée

Que ton coeur soit l'appât et le ciel, la piscine !

Car, pêcheur, quel poisson d'eau douce ou bien marine

Egale-t-il, et par la forme et la saveur,

Ce beau poisson divin qu'est JESUS, Mon sauveur ?

Le dauphin

Dauphins, vous jouez dans la mer,

Mais le flot est toujours amer.

Parfois, ma joie éclate-t-elle ?

La vie est encore cruelle.

Le poulpe

Jetant son encre vers les cieux,

Suçant le sang de ce qu'il aime

Et le trouvant délicieux,

Ce monstre inhumain, c'est moi-même.

La méduse

Méduses, malheureuses têtes

Aux chevelures violettes

Vous vous plaisez dans les tempêtes,


Et je m'y plais comme vous faites.

L'écrevisse

Incertitude, ô mes délices

Vous et moi nous nous en allons


Comme s'en vont les écrevisses,

A reculons, à reculons.

La carpe

Dans vos viviers, dans vos étangs,


Carpes, que vous vivez longtemps !

Est-ce que la mort vous oublie,

Poissons de la mélancolie.

Orphée

La femelle de l'alcyon,

L'Amour, les volantes Sirènes,

Savent de mortelles chansons


Dangereuses et inhumaines.

N'oyez pas ces oiseaux maudits,

Mais les Anges du paradis.

Les sirènes

Saché-je d'où provient,Sirènes, votre ennui

Quand vous vous lamentez, au large, dans la nuit ?

Mer, je suis comme toi, plein de voix machinées


Et mes vaisseaux chantants se nomment les années.

La colombe

Colombe, l'amour et l'esprit

Qui engendrâtes Jésus-Christ,

Comme vous j'aime une Marie.

Qu'avec elle je me marie.

Le paon

En faisant la roue, cet oiseau,

Dont le pennage traîne à terre,

Apparaît encore plus beau,

Mais se découvre le derrière.

Le hibou

Mon pauvre coeur est un hibou


Qu'on cloue, qu'on décloue, qu'on recloue.

De sang, d'ardeur, il est à bout.

Tous ceux qui m'aiment, je les loue.

Ibis

Oui, j'irai dans l'ombre terreuse

O mort certaine, ainsi soit-il !

Latin mortel, parole affreuse,

Ibis, oiseau des bords du Nil.

Le boeuf

Ce chérubin dit la louange


Du paradis, où, près des anges,


Nous revivrons, mes chers amis,

Quand le bon Dieu l'aura permis.