Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Armand Robin Rencontre avec Armand Robin : En l’ère de l’abolition du normal

Écoutez Suliane Brahim

(Suliane Brahim est entrée à la Comédie Française en 2009 et est sociétaire de la C.F. depuis 2016)

En l’ère de l’abolition du normal

Il parlait et agissait de façon parfaitement naturelle.

Or on voulait faire disparaître l’humanité naturelle.


Il était juste et c’est pourquoi tous les injustes

Se concertèrent pour dire de lui: « C’est lui, l’injuste! »


On cessait de lui parler, parce qu’on savait

Que cet homme né des pauvres disait le vrai.


Tout un chacun se dérobait.


La femme que très fidèlement il aima trente années

Sut très bien le bafouer pendant trente années.


Il fut ivre d’aube toutes les nuits pendant cinquante années.


A l’heure de sa mort on lui envoya des délégués

Représentant la Société.


Lorsque sur le lieu de son non-lieu ils arrivèrent,

Il avait fini de mourir


Et tous dirent:

« En lui aucune âme à recueillir! »


Il avait demandé, disait-on,

Que plusieurs siècles après sa vie il fût encore humilié.

Armand Robin in La vie sans moi Poésie/Gallimard

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Texte de Jean-Pierre Jourdain, directeur artistique du TNP

. « Une amie, en 1996, m’offre Ma vie sans moi , c’est ainsi que je découvre Armand Robin .

Le titre me fait sourire et les poèmes m’apparaissent comme les paroles d’un homme dont je veux très vite tout savoir. Je me pose rarement des questions quant à la vie de l’écrivain, là, il en allait tout autrement. Je me renseigne et ce que je découvre me bouleverse. Naissance dans un milieu pauvre dans la Bretagne profonde. Armand Robin est de ceux qui ont connu les deux guerres. Enfant surdoué pour les langues, il en comprendra vingt six (dit-on). Après avoir marqué de l’intérêt pour le communisme, il reviendra désenchanté d’un voyage à Moscou en 1934.

Il se tournera alors vers l’anarchisme, deviendra un ami de Georges Brassens alors et aura les pires rapports avec Aragon.

Pendant la guerre il sera employé, sous le régime de Vichy et le regard de la gestapo, à l’écoute des radios étrangères. Là il se passionnera pour la manipulation de l’information et le pouvoir des ondes radiophoniques. Il entrera dans la Résistance. Plus tard il animera à la radio une émission, très appréciée, intitulée « Poésie sans passeport ».

Irréductible, insoumis, misanthrope, il semble bien avoir été insupportable à beaucoup de ses contemporains.

Il prendra fait et cause pour l’indépendance de l’Algérie, hurlant : « je suis un fellagha, je suis un fellagha ».

Quasiment clochardisé sur la fin de sa vie, il retrouvera la mort dans une infirmerie de la police et dans des circonstances mal élucidées.

Une grande partie de son œuvre disparait alors dans la confusion et le peu d’attachement à sa personne.

J’aime les combats qu’il représente : sortir de sa condition sociale, acquérir, maîtriser les outils du savoir, construire une pensée critique quant à l’information et ses travers (la désinformation et la manipulation), pratiquer un humanisme exigeant.

Il a fait partie de ces êtres dont la société a peur et ne sait que faire alors qu’il en était un “écouteur sublime”. »

Jean-Pierre Jourdain