Écoutez Denis Lavant , dans l'adaptation de Kristina Rady et Gabor Kardos(p35-38 de À coeur pur Seuil 2008) sur You*ube
https://www.youtube.com/watch?v=OCqRRqWYGeQ
ou ci-dessous
József Attila
A Dunánál
AU BORD DU DANUBE
1
A rakodópart alsó kövén ültem,
néztem, hogy úszik el a dinnyehéj.
Alig hallottam, sorsomba merülten,
hogy fecseg a felszin, hallgat a mély.
Mintha szivemből folyt volna tova,
zavaros, bölcs és nagy volt a Duna.
Écoutez la 1e strophe ci-dessus en hongrois et la 2e strophe ci-dessous en français
Au bas du quai sur une pierre j'étais assis,
Je regardais les pelures d'une pastèque s'en aller .
A peine ,dans mon destin plongé , si j'entendis,
Que la surface babillait , que le fond restait muet.
Comme si hors mon cœur coulait au loin son flux ,
Trouble , sage , immense était le Danube .
Tels des muscles , lorsque l'homme travaille ,
Bêchant , martelant, faisant du torchis , limant,
Ainsi craquait , ainsi se tendait, ainsi tombait en faille
Chaque ondulement , chaque mouvement.
Et , telle ma maman, l’eau me berçait , me contait
Des contes tout en lavant chaque souillure de la cité.
Et vint la pluie avec quelques gouttelettes,
Puis , comme si rien ne changeait , elle se rompit.
Moi pourtant , semblable à qui d'une grotte guette
La pluie longue , je regardais l'au-delà du pays :
À la semblance d'une apathique , éternelle ondée tombait
Sans couleur , lui qui fut tout en couleurs , le Passé .
Le Danube n'était qu'une onde . Et tel , dans la fécondité
Un marmot sur le sein de sa mère ailleurs distraite ,
Telles avec joliesse s'ébattaient
Et me faisaient risette les vaguelettes.
Sur le courant du Temps elles avaient des tremblements,
De cimetières où les pierres tombales vont croulant.
2
Je suis ainsi que depuis cent mille ans
Je regarde ce qui soudain je vois.
Une seconde ! et j'ai là l'entier Temps
Que cent mille aïeux contemplent avec moi.
Ce qu'eux ne voyaient pas , je le vois , car eux
Piochaient , pourfendaient , procréaient , selon leur loi .
Mais , dans la matière descendus , ils voient , eux ,
Ce que moi ( l'heure étant aux aveux ) point ne vois.
Nous avons savoir de nous comme joie et chagrin ;
Le passé m'appartient , le présent leur appartient ;
Nous écrivons ces vers , mon crayon dans leur main ;
En mes sens j'ai leur présence et je me souviens .
3
Ma mère était cumane, mon père mi-sicule
Mi-Roumain – ou peut-être roumain tout à fait .
Sur la bouche de ma mère douce était la nourriture .
Sur la bouche de mon père belle était la vérité .
Quand je bouge , ce sont eux qui s'embrassent ;
J'ai des moments de chagrin , c'est pour cela .
Là , tout s'écoule . D'eux je suis fait . "Tu verras
Quand nous ne serons plus là! " , telle est vers moi leur voix .
Oui , leur voix vers moi ! car eux , c'est déjà moi ;
Ainsi je suis fort , tout débile que soit mon être ,
Moi qui , dans le passé , plus que le nombre me vois ,
Car jusqu'au Premier des Premiers je suis chaque ancêtre .
Je suis l'Ancêtre qui pour se multiplier se fait bribes ;
En mon père , en ma mère avec bonheur je me modifie
Et mon père , ma mère , à leur tour se dédoublent
Et c'est ainsi , UN animé , que je prolifie .
Je suis tout ce qui fut , qui est – je suis le monde :
Les générations en nombre s'entrechoquant .
Avec moi les conquérants triomphent dans leur tombe
Et les tourments des vaincus sont mes tourments ..
Árpád, Zalán ,Verböczi , Dôzsa , Turcs , Tatars ,
Slovaques , Roumains , pêle-mêle vont tournoyant
Dans ce cœur-là qui déjà à ces anciens jours
Un doux avenir … Hongrois de ce temps!
… Moi , c'est travailler que je veux . Suffisante
Lutte est d'avoir à prendre en charge le passé .
Sur le Danube vont s'entrebaisant les houles tendres,
Qui sont temps passé , temps qui passe , temps à passer .
Les luttes que mes ancêtres ont livrées ,
En sérénité la mémoire dénoue leurs noeuds .
Et mettre enfin dans nos affaires communes une clarté
Est notre travail ; et ce n’est pas peu.
Juin 1936
Traduction de Armand Robin in Poésie non traduite I pages 151-154
Dans sa deuxième émission du 1/6/1952 sur la poésie hongroise , consacrée à Attila Jozsef , Armand Robin (page 101 de 'Poésie sans passeport" Texte établi et présenté par Françoise Morvan, éditionUBACS 1990 ) dit :
"Qui était-il ? On pose souvent cette question aux véritables poètes . Ils ne peuvent pas répondre , puisqu'ils ne peuvent eux-mêmes savoir ce qu'ils sont que par leur création ; leur poème futur , avec la future définition d'eux-mêmes , est en eux , dans leur gorge , qui les empêche de parler .
Une année environ avant sa mort tragique , Attila Jozsef , assis un soir au bord du Danube , laissant son âme retrouver son règne de vagues intemporelles , sut soudain ce qu'il était : il était l'homme primordial, et comme l'éternel Danube-homme : l'homme pas encore séparé de Dieu .
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"Cet homme à la taille du Danube , d'un Danube d'avant et d'après la fabrication d'un monde politique et policier , se cogna contre une société toute petite , contre une humanité de sous-hommes . Partout , des entonnoirs contre le Danube , des fiches de police contre un homme libre . Comment se comporte un Danube en vain ratatiné ? Il se comporte avec quelques colères de Danube , il est vrai : péché véniel ! Il se comporte surtout avec une fierté et une tristesse de Danube . Il ne se révolte pas , ce n'est pas digne d'un révolutionnaire ; il souffre de voir le monde tel qu'il a été fabriqué ."