Réédition du billet du 6 août 2021
NOTE :
"La Légende de Novgorode serait le premier poème de Blaise Cendrars, publié dans une traduction russe à Moscou en 1907. Ce texte de jeunesse a longtemps été considéré comme perdu, voire comme n'ayant eu d'autre existence que dans l'imagination fertile de son auteur supposé, jusqu'à ce qu'en 1995 un exemplaire en soit découvert par hasard dans une bouquinerie bulgare par Kiril Kadiiski. Ce premier poème révèlerait, entre autres choses, le secret de l'origine du pseudonyme littéraire que s'était choisi Frédéric Sauser. Mais son authenticité demeure douteuse."(Extrait de Wikipédia: voir ICI)
Augustin Voegele, auteur de l’article:« Ni Cendrars, ni Kadiiski Ou Que la légendaire Légende de Novgorode n’a pas besoin d’auteur. Fiction théorique « paru dans Fabula-LhT, n° 17 écrit :
Cendrars, quand un ami le sommait de dire si, oui ou non, il avait voyagé avec le Transsibérien, ne savait lui répondre que par cette rude pirouette : « Qu’est-ce que ça peut te faire, puisque je vous l’ai fait prendre à tous ! » Et Kadiiski, si un tribunal des lettres lui imposait de répondre à la question que nous nous posons tous (à la question que moi aussi je me pose, malgré moi), se déroberait peut-être à son tour en ces termes : « Que vous importe que la Légende de Novgorode soit l’œuvre d’un mystificateur suisse ou d’un imposteur bulgare, du moment que je vous l’ai fait lire à tous ? »
Écoutez André Dussolier
En ce temps là seulement que j’étais un vrai poète.
Quand on a dix-sept ans — comme dit Arthur Rimbaud —
on n’a que poésie et amour en tête… C’était une même soirée suffocante,
les tilleuls saoulaient d’une odeur de bière de Munich. Et le vent assoupi goûtait l’écume des papillons autour des réverbères… Et les villas
des Suisses respectables
en troupeaux de fringants moutons roses descendaient à l’abreuvoir.
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Et moi, comme un somnambule, je descendais du cinquième étage
le long de la gouttière ;
moi, ce jour-là, je m’enfuyais de la maison de mon père.
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Je voulais m’engouffrer dans la vie de la poésie
et pour cela il me fallait traverser la poésie de la vie.
J’étais le Hollandais Volant, sous moi défilaient les époques et les destins
et les nuées de vaisseaux de la flotte hanséatique avaient peine à me suivre
et moi je les attirais vers l’Orient
où nous attendait Novgorod — royaume de l’or puant et
des fourrures que, du Pôle, venant des comptoirs et des isbas,
des archers à face de Mongols nous apportaient, exigeant de la vodka en échange.
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Les plaines luisaient comme de l’hermine dans le soleil couchant,
piquetées de corbeaux dans la neige fraîche… Je contemplais les neiges
et je vis comme un rêve
des files de moines qui marchaient vers leur
Dieu de patience.
Dans un très grand livre à la senteur de cire, j’ai lu son histoire.
J’étais ce moine qui naviguait, penché sur ce livre
qui de ses ailes jaunies et s’effeuillant a
survolé l’étendue des siècles et des royaumes
pour nous convaincre tous que tour à tour disparaît et revient
ce qui fait notre vie… Mais la vie sans fin demeure irrévocable !
Ma plume grinçait et ma fièvre montait dans ma naïve poursuite de la gloire ;
et c’était moi sous la reliure d’or comme un prêtre dans l’ombre d’une église orthodoxe.
Et les mots que je laissais tomber étaient les billets rouges
que je devais payer aux fournisseurs
avant de lancer mes marchandises dans le monde.
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Mes mains caressaient la nuque souple des plus tendres beautés,
de mes mains je serrais le cou de mille marchands suants et vaniteux
— et j’étais, moi, un puissant marchand, effleurant avec délicatesse
les choses payées de mes deniers… Et pourtant , je n’ai même pas pu frôler
une chair odorante et tendre et chaude
comme la neige… ni le creux, si chaud aussi, tendre et soyeux
vers lequel tendait mon vif animal.
Dans le Nord où le ciel renversé comme un baquet
inonde tout de lait et sans doute jamais ne tarira
la Voie lactée, et où vogue la lune, motte de beurre frais— ce Nord, y suis-je bien allé?
Ah ces nuits blanches de Saint-Pétersbourg comme le halo blanc des champs dans ma mémoire?
À minuit on relevait les ponts, portes de pierres pour rentrer au ciel ou sortir de l’enfer …
Mais je me fichais bien alors de qui entrait ou qui sortait, et ma mémoire aujourd’hui est comme la nuit blanche
car on a enlevé mon Hélène
et Troie est déjà réduite en cendres.
En ce temps-là j’étais un jeune homme de dix-sept ans
et Novgorod m’accueillit avec ses hordes de maisons de bois
grâce auxquelles mes ennemis ont pu forcer la citadelle de mon amour invincible
et ne laisser derrière eux que cendres, que cendres, que cendres.
Qui a conçu l’idée stupide que la beauté est immortalité
Peut-on s’emparer de l’immortalité ?