Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Blaise Cendrars Rencontre avec Blaise Cendrars : Paris

Paris

Ce ciel de Paris est plus pur qu’un ciel d’hiver lucide de froid

Jamais je ne vis de nuits plus sidérales et plus touffues que ce printemps

Où les arbres des boulevards sont comme les ombres du ciel,

Frondaisons dans les rivières mêlées aux oreilles d’éléphant,

Feuilles de platanes, lourds marronniers.

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Un nénuphar sur la Seine, c’est la lune au fil de l’eau

La Voie Lactée dans le ciel se pâme sur Paris et l’étreint

Folle et nue et renversée, sa bouche suce Notre-Dame.

La Grande Ourse et la Petite Ourse grognent autour de Saint-Merri.

Ma main coupée brille au ciel dans la constellation d’Orion.

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Dans cette lumière froide et crue, tremblotante, plus qu’irréelle,

Paris est comme l’image refroidie d’une plante

Qui réapparaît dans sa cendre. Triste simulacre.

Tirées au cordeau et sans âge, les maisons et les rues ne sont

Que pierre et fer en tas dans un désert invraisemblable.

Babylone et la Thébaïde ne sont pas plus mortes, cette nuit, que la ville morte de Paris

Bleue et verte, encre et goudron, ses arêtes blanchies aux étoiles.

Pas un bruit. Pas un passant. C’est le lourd silence de guerre.

Mon oeil va des pissotières à l’oeil violet des réverbères.

C’est le seul espace éclairé où traîner mon inquiétude.

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C’est ainsi que tous les soirs je traverse tout Paris à pied

Des Batignolles au Quartier Latin comme je traverserais les Andes

Sous les feux de nouvelles étoiles, plus grandes et plus consternantes,

La Croix du Sud plus prodigieuse à chaque pas que l’on fait vers elle émergeant de l’ancien monde

Sur son nouveau continent.

Je suis l’homme qui n’a plus de passé.

Blaise Cendrars, Du monde entier au coeur du monde, Poésies complètes, Préface de Paul Morand, édition établie par Claude Leroy, Poésie/Gallimard, 2010, pp.303/304.