Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Christine de Pisan Rencontre avec Christine de Pisan (1364 - 1430?) : Rondeau

Ch. de Pisan offrant le recueil de ses oeuvres à Isabeau de Bavière(Londres-British Library)

RONDEAU

Je suis veuve, toute seule, de noir vêtue,

pour tout ornement mon triste visage,

en grand chagrin et douloureusement

je porte le deuil très amer qui me tue.


C'est bien à raison que je suis abattue,

pleine de pleurs, peu portée à parler :

je suis veuve, seule, de noir vêtue.


Puisque j'ai perdu celui par qui m'est rappelée

la douleur qui me rend folle,

tous mes jours heureux, ma joie ont disparu,

je suis tombée en un état bien dur.

Je suis veuve, seule, de noir vêtue,

mon triste visage pour tout ornement.

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Texte sur Christine de Pisan de P.B.(Pierre Bonniffet -professeur d'université ou Pascale Bourgain (professeure à l'École des Chartes)?)

Métier d'écrire, nécessité d’écrire… Veuve à 25 ans, Christine de Pisan (ou Pizan, comme on écrivait alors suivant ses origines italiennes) fit de sa solitude et de son dénuement le point de départ d'une carrière littéraire. D’un besoin elle fit une force ; d'un goût qui lui faisait regretter, tout enfant, que son père, Thomas de Pizano, astrologue et conseiller de Charles V, ne la fît pas profiter de tout son savoir, parce qu'elle était fille, elle fit un gagne-pain, et se mit avec passion à l'étude. Rien d'étonnant qu'elle se fasse représenter, dans les livres offerts à ses protecteurs, toujours à son écritoire, recréant l'atmosphère studieuse et appliquée de l'atelier où elle copiait elle-même et préparait, aidée par quelques copistes et enlumineuses, les manuscrits de ses œuvres qu'elle offrirait aux princes et membres de la famille royale, et qui lui vaudraient en retour des gratifications en rapport avec les qualités de ses productions. C'est ainsi qu'elle put élever ses enfants et assurer sa situation. Cette italienne venue en France à quatre ans refusa de quitter le pays par la suite et n'écrivit jamais qu'en français.

Triste, Christine écrivit d'abord ses peines. Puis, pour satisfaire ses commanditaires, aux temps dorés du règne de Charles VI, elle rima les amours des autres. Mais avec le passage des ans, tandis que mûrissaient en elle ses lectures à la recherche du savoir, synonyme alors de sagesse, elle chercha à persuader ses lecteurs de ce qui lui tenait à cœur, par des avis politiques, des appels à la paix alors que la guerre civile menaçait, des conseils moraux, et pour cela glissa des vers à la prose. Elle fut surtout très profondément, bien qu'elle affirme que la mauvaise fortune fit d’elle un homme, en lui donnant énergie, volonté et savoir, une femme qui écrit. Elle défendit toujours l'honneur des dames, l'action civilisatrice de la femme ; elle engagea et entretint une polémique entre lettrés contre Jean de Meung et les conceptions misogynes du second Roman de la rose. Et dans sa vieillesse, lorsque, retirée au couvent, elle entendit parler de Jeanne d'Arc, son patriotisme et sa foi dans les vertus féminines en furent illuminés.

La dignité est l'une des qualités évidentes de celle qui fut, par force, l'un des premiers écrivains de métier, et qui sut à la fois mener sa barque dans un monde fait par les hommes et vendre sa plume sans l’avilir.

Page 38 de Les plus beaux manuscrits des poètes français, collection La Mémoire de l’Encre co-édition BNF-Robert Laffont-1991