Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Christophe Tarkos Rencontre avec Christophe Tarkos : Pan- Je peux me parler

Écoutez Hervé Pierre

Je peux me parler

Pages 73-74 de PAN P.O.L2000

Je peux me parler, j’ai le droit de me parler, ce n’est pas interdit, je ne me parle pas, mais j’en ai le droit, il n’est pas interdit de se parler, je pourrais me raconter des milliers d’histoires, je peux m’échanger quelques sentiments, je pourrais me faire plaisir en me parlant, j’ai le droit de me parler, je peux me parler, en faisant plusieurs personnes qui se répondent si elles en ont envie, je pourrais faire des paroles qui passent, qui font plusieurs personnes pour faire des paroles qu’elles s’adressent, cela ferait des paroles qui passent, je me parlerais, je peux me parler, cela n’a rien d’interdit, ce n’est pas impossible, juste pour me parler, pour faire que je me parle, ainsi je me parlerais, c’est une façon d’entendre des paroles, cela ferait plusieurs paroles, les paroles entraînant d’autres paroles, en y répondant à nouveau, je m’échangerais des sentiments. Il n’est pas interdit de se parler. Je ne me parle pas, mais il n’est pas interdit de se parler. C’est possible, je pourrais me parler. Je commencerais à me parler. Je peux me parler en silence, je me dirais quelque chose. Je me dirais que ce n’est pas ainsi qu’il faut se parler, qu’il y a d’autres façons aimables ou plus directes de se parler et qu’il n’est pas interdit de se parler et, qu’étant donné que cela n’a rien d’interdit, je me dirais que je peux parler me parler tranquillement. Je peux me parler, je ne le fais pas, mais je sais qu’il est possible de parler simplement à soi. Il y a la place de parler en se racontant un peu ce que l’on a envie d’avoir une voix qui parle, donne un peu de courage. À l’intérieur cela ferait une voix intérieure. Je peux me parler sans prononcer un mot. Les paroles réchauffent. J’ai le droit de me parler. Je ne me parle pas, mais il est possible de se parler. Je me parlerais sans manières. Je peux me parler tranquillement. Je n’ai pas besoin de me parler à haute voix ni de soutenir mon attention. Je comprendrais, je n’aurais pas besoin de crier, cela passerait sans mal, j’ai le droit de me parler intérieurement.

::::::

Commentaires de Anne-Renée Caillé dans sa thèse  Théorie du langage et esthétique totalisante dans l’œuvre poétique de Christophe Tarkos(Pages 371-372)

« Répéter peut constituer une stratégie énonciative qui permet d’être toujours en train de donner forme à la parole et à la pensée poétique sans devoir s’arrêter. En plus de ces fonctions, elle a la qualité d’être structurante : « c’est la répétition qui produit le lien », dit Tarkos . Quand il répète des mots et des idées dans ses phrases en séries, dans ses propositions juxtaposées par des virgules, ce n’est pas nécessairement tautologique. Il y a effectivement des « phrasés » qui, selon la définition, sont faits d’énoncés qui ne disent rien de plus que le prédicat d’origine . Tout en répétant l’idée principale, « je peux me parler », à plusieurs reprises (..), il ajoute au compte-gouttes des informations supplémentaires : la légitimité et la liberté d’user du soliloque, l’autonomie de la pratique, la fonction de production de la parole qui en découle et la tranquillité de l’action, presque méditative.

La poésie met ici en scène un monologue intérieur qui parle de lui-même et, conséquemment, le fait de se parler n’exclut plus celui d’être entendu. « Se raconter », après tout, implique un autre. Benveniste le disait ainsi : « Le « monologue » est un dialogue intériorisé, formulé en « langage intérieur », entre un moi locuteur et un moi écouteur. Parfois le moi locuteur est seul à parler ; le moi écouteur reste néanmoins présent ; sa présence est nécessaire et suffisante pour rendre signifiante l’énonciation du moi locuteur . » (Problèmes de linguistique générale II, p. 85-86)