Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Guillevic Rencontre avec Guillevic : Les rocs

Écoutez Catherine Sellers

Les Rocs 

I

  Ils ne le sauront pas les rocs,

Qu'on parle d'eux.


  Et toujours ils n'auront pour tenir

Que grandeur.


  Et que l'oubli de la marée

Des soleils rouges.


Ils n'ont pas le besoin du rire

Ou de l'ivresse.


  Ils ne font pas brûler

Du soufre dans le noir.


  Car jamais

Ils n'ont craint la mort.


  De la peur

Ils ont fait un hôte.


  Et leur folie

Est clairvoyante.


Et puis la joie


  De savoir la menace

Et de durer.


  Pendant que sur les bords,

De la pierre les quitte


  Que la vague et le vent grattaient

Pendant leur sieste.

IV

Ils n'ont pas à porter leur face

Comme un supplice.


   Ils n'ont pas à porter de face

Ou tout se lit.

 V

La danse est en eux,

La flamme est en eux,

Quand bon leur semble.


  Ce n'est pas un spectacle devant eux,

C'est en eux.


  C'est la danse de leur intime

Et lucide folie.


C'est la flamme en eux

Du noyau de braise.

VI

Ils n'ont pas voulu être le temple

Ou se complaire.


  Mais la menace est toujours là

Dans le dehors.


  Et la joie

Leur vient d'eux seuls,


  Que la mer soit grise

Ou pourrie de bleue.

VII

Ils sentent le dehors,

Ils savent le dehors.


. Peut-être parfois l'auront-ils béni

De les limiter :


La toute puissance

N'est pas leur faible.

  VIII

Parfois dans leur nuit

C'est un grondement

Qui longtemps résonne.


  Et leur grain se noie

Dans un vaste effroi :


  Ils ne savaient plus

Qu'ils avaient une voix.

IX

Il arrive qu'un bloc

Se détache et tombe,


  Tombe à perdre haleine

Dans la mer liquide.


  Ils n'étaient donc bien

Que des blocs de pierre,


  Un lieu de la danse

Que la danse épuise.

X

Mais le pire est toujours

D'être en dehors de soi

Quand la folie

N'est plus lucide.


  D'être le souvenir d'un roc et l'étendue

Vers le dehors et vers le vague.

  Terraqué  Editions Gallimard, 1942