PRÉSENTATION du MARIN : ÉDITIONS JOSÉ CORTI texte du site : www.jose-corti.fr/le marin pessoa
Le Marin, drame de Fernando Pessoa.
Drame statique
Traduit par Bernard Sesé- éd. bilingue - 72 pages - 1988 - 10,67 €
RÉSUMÉ
“Pourquoi est-ce que l’unique chose réelle dans tout cela ce ne serait pas le marin, et nous, et tout ce qui est ici, seulement un de ses rêves ?” (p.55)
En quête d’une poétique du rêve, Pessoa situe également Le Marin au paroxysme du tragique :
“Oh, quelle horreur, quelle horreur intime dénoue la voix de notre âme et les sensations de nos pensées et nous fait parler et sentir et penser quand tout en nous demande le silence et le jour et l’inconscience de la vie..." (p.63).
CINQ PERSONNES : Trois Veilleuses, le Marin et “la cinquième personne … qui tend le bras et nous interrompt chaque fois que nous allons sentir ” (p.63)– composent ce “drame en âme”.
“Ne sentez-vous pas tout cela comme une énorme araignée qui , d’âme en âme, nous tisse une toile noire qui nous attrape ?”(p.63)
Extraits
TROISIÈME VEILLEUSE : Cela me fait horreur, de penser que dans quelques instants, je vous aurai dit ce que maintenant je vais vous dire. Mes paroles, à peine prononcées, appartiendront au passé et se tiendront hors de moi, je ne sais où, rigides et fatidiques… je parle et j’y pense dans ma gorge; mes paroles semblent être des êtres humains… Mon effroi me dépasse de toutes parts. Je me sens dans ma main, je ne sais comment, la clef d’une porte inconnue. C’est comme si j’étais tout entière une amulette, un reposoir ayant conscience de lui-même. C’est pour cela que je m’effraye d’aller, comme par une forêt obscure, à travers le mystère de la parole… Et, en fait, qui sait si je suis bien ainsi, et si c’est cela que j’éprouve?
(…)
DEUXIÈME VEILLEUSE : On ne doit pas trop parler… La vie nous guette sans relâche… Toute heure est maternelle pour le rêve, mais il vaut mieux l’ignorer… Quand je parle trop, je me sépare de moi-même, et je m’entends alors parler. Je m’apitoie sur moi-même, et je sens mon cœur trop intensément; j’ai envie de le prendre dans mes bras pour le bercer comme un enfant… Regardez : l’horizon a pâli. Le jour ne doit plus tarder… Dois-je vraiment vous parler encore de mon rêve?
(…)
PREMIÈRE VEILLEUSE : Ne parlons plus. Pour ma part, votre effort pour parler me fatigue… Je souffre de l’intervalle entre ce que vous dites et ce que vous pensez. Ma conscience surnage à la surface de la somnolence effrayée de mes sens sur ma peau… Je ne sais pas ce que c’est, mais c’est ce que je ressens… J’éprouve le besoin de prononcer des phrases confuses, un peu trop longues, difficiles à dire… Ne sentez-vous pas tout cela en vous, comme si une énorme araignée tissait, d’une âme à l’autre, une toile noire qui nous retiendrait prisonnières?