LAST POEM
(dicté par le poète sur son lit de mort)
C’est peut-être le dernier jour de ma vie.
J’ai salué le soleil, en levant la main droite,
Mais je ne l’ai pas salué pour lui dire adieu.
Je lui ai fait signe que j’étais heureux de le voir encore, c’est tout.
antérieur à 1930
Pessoa- Poèmes jamais assemblés d’Alberto Caeiro, éditions unies-2020
''Traduit du portugais par Jean-Louis Giovannoni, Isabelle Hourcade, Rémy Hourcade et Fabienne Vallin. 2020, imprimé en typographie, format 16x22 cm, 56 p-16€''
Présentation du livre par les Éditions unies :
"J'accepte, c'est mon caractère.
Je suis né comme tout le monde, sujet aux erreurs et aux défauts,
Mais jamais à l'erreur de vouloir chercher à trop comprendre,
Jamais à l'erreur de ne vouloir comprendre que par l'intelligence,
Jamais au défaut d'exiger du monde
Qu'il soit autre chose que le monde."
Alberto Caeiro, de tous les hétéronymes inventés par Fernando Pessoa, est un maître de la simplicité, celui qui ne regarde jamais au-delà de la réalité qui passe indifférente devant nous. Au contraire d’Alvaro de Campos, le grand créateur d’allégories universelles, propagateur de modernité, Caeiro se méfie des raffinements du style, des mythes et des fables qui sont pour lui fantasmes et fumées. À ces fausses éternités, aux métaphores qui enflent artificiellement le monde, il oppose un regard consentant et direct.
Poète modeste, conscient de sa place minuscule sur la terre, il se fait le témoin heureux des pluies et des saisons, de la route devant soi, même de la mort à venir. « Non pas penser mais voir », ne rien exiger, mais attendre et accepter.
Cette poésie antimétaphysique plaint les hommes en quête de bonheurs qui n’existent pas, trop occupés du futur, qui rêvent dans leurs mauvais rêves. Il plaint les mystiques qui cherchent des interprétations, qui ajoutent des noms aux pierres, aux ruisseaux, aux arbres pour en brouiller le sens. Ceux qui partout imposent la marque de l’homme, veulent faire démonstration d’intelligence dans une appropriation aveugle du monde.
Caeiro écarte certitudes et incertitudes, vérités et mensonges qui sont pour lui des valeurs abstraites, « j’accepte l’injustice comme j’accepte qu’une pierre ne soit pas ronde », dit-il. Il bâtit une œuvre philosophique qui prêche l’abandon de toute philosophie, qui privilégie la conscience à la théorie et invite à l’indifférence. Consentir à l’indifférence ouvre à un amour plein, car on s’approche des choses pour ce qu’elles sont au moment où elles sont, plutôt que de se perdre dans un palais des miroirs, de potentialités et de mirages. Il s’agit d’aimer « les choses sans aucun sentimentalisme ». C’est toute la beauté de cette entreprise, au sourire amusé toujours en arrière plan de ses paradoxes :
Pessoa est un démiurge, Caeiro ne l’est pas, et ces poèmes, dans le prolongement immédiat du Gardeur de troupeaux, qui ne portent pas de fable, sont simplement la leçon sans morale du temps présent.