Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Pessoa et Claude Régy : Ode maritime Rencontre avec Fernando Pessoa -Àlvaro de Campo : Premier extrait : Début de Ode maritime

Écoutez Didier Flamand

Tout seul, sur le quai désert, dans ce matin d’Eté,

Je regarde du côté de la barre, je regarde vers l’Indéfini,

Je regarde et il me satisfait de voir,

Petit, noir et clair, un paquebot qui entre.

Il vient là-bas très loin, bien net, classique à sa manière.

Dans l’air lointain il laisse derrière lui l’ourlet vain de sa fumée.

Il vient, il entre, et le matin avec lui, et sur le fleuve,

De-ci, de-là se réveille la vie maritime,

Se dressent les voiles, s’avancent les remorqueurs,

Surgissent de petits bateaux de derrière les navires qui sont dans le port.

Il fait une vague brise.

Mais mon âme à moi se tient avec ce que je vois le moins,

Avec le paquebot qui entre,

Car lui se tient avec la Distance, avec le Matin,

Avec le sens maritime de cette heure,

Avec la douceur douloureuse qui monte en, moi comme nausée,

Comme début de mal de mer, mais dans l’esprit.

Je regarde de loin le paquebot, dans une grande indépendance d’âme,

Et au fond de moi une roue comme à tourner, lentement.

Les paquebots qui franchissent de bon matin la barre

Apportent à mes yeux en eux


Le mystère joyeux et triste de qui arrive et part.

Ils apportent des souvenirs de quais éloignés et d’autres moments

D'une autre façon de la même humanité dans d'autres ports .

Tout accostage , tout appareillage de navires

Est –– je le sens en moi comme mon propre sang––

Inconsciemment symbolique , terriblement

Menaçant de signification métaphysique

Qui perturbent en moi qui je suis .


Ah, tout quai est une saudade en pierre !

Et quand le navire se détache du quai


Et que l’on remarque d’un coup que s’est ouvert un espace


Entre le quai et le navire,


Il me vient, je ne sais pourquoi, une angoisse toute neuve,


Une brume de sentiments de tristesse

Qui brille au soleil de mes angoisses couvertes de gazon

Comme la première fenêtre où l’aurore vient battre,

Et qui m’entoure comme un souvenir d’une autre personne

Qui serait mystérieusement à moi.


  Ah, qui sait, qui sait,

Si je ne suis pas déjà parti jadis, bien avant moi,

D’un quai ; si je n’ai pas déjà quitté, navire sous le soleil


Oblique de l’aurore,

Une autre sorte de port ?

Qui sait si je n’ai pas déjà quitté, avant l’heure

Du monde extérieur tel que je le vois

S’éclaircir à mes yeux,

Le grand quai plein de peu de gens,

D’une grande ville à demi éveillée,

D’une énorme ville commerciale, hypertrophiée, apoplectique

Autant qu’il est possible hors de l’Espace et hors du Temps ?

(Traduction de M.Chandeigne )


Écoutez Didier Flamand


Je joins ci-dessous un article de 1989 qui évoque une interprétation de "Ode maritime" .

Depuis, Claude Régy , en 2009, a créé un spectacle avec Jean-Quentin Chatelain avec ce poème : on peut trouver - via un moteur de recherche - des réflexions de Régy sur ce poème :Conférence de presse de Claude Régy sur ode maritime

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