Association Encrier - Poésies

Rencontre avec François Cheng Rencontre avec Zhang Ruo-xu.(poète du VIIe siècle) : Nuit de lune et de fleurs sur le fleuve printanier

Nuit de lune et de fleurs sur le fleuve printanier

Au printemps, les marées du fleuve raliient la mer;

À la cîme des marées se lève la pleine lune.

De vague en vague, sans bornes, elle répand sa clarté ;

Est-il un seul recoin qui n'en soit éclairé ?


Le fleuve coule enserrant les prairies qui embaument ;

La lune fait scintiller la forêt tout en fleurs.

Givres portés par l'air, au vol inaperçu ;

Sable blanc des îlots, invisible au regard.


Fleuve et ciel ne font qu'un, teinte unique et sans tache.

La lune en plein éclat, roue solitaire, là-haut.

De la rive, qui la vit pour la première fois ?

Lune de fleuve, depuis quand luit-eile pour les hommes ?


Vie humaine, d’âge en âge, ardemment poursuivie ;

Lune de fleuve tous les ans pareille à elle-même.

Comment savoir qui donc est l’être qu'elle attend ?

Ce que les hommes voient : l'eau que le fleuve envoie !


Un pan de nuage blanc vogue vers le lointain ;

Sur les verts sycomores, que de mélancolie !

Quel voyageur de nuit dans son précaire esquif ?

Quel logis sous la lune où l'on songe à l'absent ?


Hélas, sur le logis, la lune va et vient

Éclairant le miroir de femme esseulée.

Le rideau des croisées, s’enroule sans l’écarter;

Sur les pierres à linge, elle reste immuable.


C'est l'heure où , à distance, on se voit, sans s'entendre ;

« Je veux suivre la lune et m’épandre sur toi. »

Oie sauvage, au long vol, n'apporte nul message ;

Poisson-dragon, nageant, ne fait que rider l’eau.


« Hier soir près de l'étang, j'ai vu les fleurs échoir.

Le printemps mi-passé, ne t'en reviens-tu pas ? »

Le fleuve coule, avec les eaux s’écoule le temps ;

L'étang capte la lune qui vers l'ouest déjà penche.


Penchée, la lune se fond dans la brume marine;

infinie est la route de Chieh -shih à Hsiao- hsiang.

Ah, combien reviendront sous l’ultime clarté ?

En tombant la lune touche les arbres du long fleuve.»

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Dans son livre Une longue route pour m'unir au chant français, édité chez Albin Michel en 2022, François Cheng écrit à propos de ce poème , page 102 :

"Le poème met en scène deux figures hautement symboliques , la lune et le fleuve . Ces deux protagonistes, tout en s'opposant, sont unis par des liens inextricables : la lune suscite les marées et les marées reflètent la clarté lunaire ; le fleuve, par sa course sans fin, par sa présence lumineuse, exprime la Vie qui s'affirme au sein de l'espace. Leurs rapports organiques arrachent au poète une suite d'interrogations d'ordre métaphysiques.

Dans cette dramaturgie s'insèrent en effet les destins humains.En cette nuit de pleine lune et de marée haute, nous assistons au drame de la séparation que vivent deux amants, l'homme devant partir loin en bateau.

Une étude à différents niveaux lexical, sémantidue, symbolique fait ressortir toutes les subtilités d'une langue dont se sert le poète pour atteindre la grande signifiance"

François Cheng a réalisé un travail sur ce poème dans les années soixante, étude qu'il a présentée à l'École pratique des hautes études. En 2021, aux Éditions L"Asiathèque, une réédition de son mémoire a paru sous le titre Nuit de lune et de fleurs sur le fleuve printanier.

Nuit de lune et de fleurs sur le fleuve printanier est le seul poème connu de Zhang Ruo-xu., poète chinois du VIIe siècle : pour François Cheng, , ce poème " compte parmi les plus hauts chants de la poésie classique chinoise"