Qu'elle nous soit présente , la Bretagne
Dans ses humeurs , ses élans , son mystère ,
Son mystère surtout
Approchons-nous-en doucement
Laissons-nous faire et défaire
Par cette magie enfantine
Qui vient des mots tout simplement
Laisse-toi guider , conduire , vivre
Je veux dire rêver tout haut
Grâce à ces mots qui savent être durs comme le granit
Entre avec moi dans cette brume
Toujours provisoire ici
La tête de l'homme , fragile sémaphore ,
Contre la tête du vent , ce buffle aveugle
Ecoute ces mots qui ont des gueules terribles
Comme on en voit sur les calvaires
Ou dans les romans de Victor Hugo
Ecoute :
Grouannec Coz
Kerhornaouen
Roudoushin
Treouergat
Louxourougoen
Couxenzen
Keralleunoc
Stangkergoulas
Enfonce-toi plus avant dans ce pays
Qui est comme une pince jamais refermée
Pour que l'océan ne s'y engouffre
En conquérant , ou en flâneur
Dans les anses par-delà Brest
Viens et vois comme au fur et à mesure
Que tu marches
Ton rêve se déploie se déplie
Se métamorphose en un réel drapeau géant
Qui serait planté au sommet brut
Des Monts datée
Cette Egypte sans Nil et sans Rois
Où le diable fait la grimace
Il a dû se pendre par là
Et ressusciter dans la mer
Où sa queue fait encore peur
Aux marins quand ils le rencontrent.
Un drapeau à la gloire duquel
Se libère le ciel , soudain immense
Plus spacieux que n'importe où
On a l'impression que tous les saints du monde
L'ont choisi pour y faire la sieste ,
Quand il est doux
Que les démons mangent les restes
Du repas des saints , et se battent
Quand il s'échelonne en hurlant
Comme un fou qui renie son âme
Se libère la terre
Qui n'en peut plus de s'étirer
Comme tu fais toi-même
Homme heureux d'être loin des hommes
De tes hommes particuliers
D'affaire ou de triste commerce
Et qui te met les bras en croix
Dans le bâillement de l'espace
La terre aussi semble se plaire
A ces jeux de respiration
Au fur et à mesure que l'homme se raréfie
L' homme taupe
L' homme rat
L' homme puce
Qui saute ici et puis ailleurs
Dans son délire quotidien
Ce parasite qui suce le sang de la vie
Mais il en perd toutes couleurs , ainsi
Finissent pas mal d'hommes.
Poèmes bleus p.64-65-66 (le chemin Gallimard)