Écoutez Yasmine
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Nous avons passé l’âge de nous plaindre ;
De quoi au fait nous plaindrions-nous ?
Il y a beau temps qu’on est sevré de la baleine maternelle.
Nous avons été dans la gueule de la baleine guerre
Et elle nous a recrachés sur le rivage.
Geignards ou glorieux, nous avons passé l’âge.
Moi, dit Jonas, à la fin d’une phrase je mets un point.
Et les majuscules au début de chaque ligne c’est uniquement parce que
Ca fait plutôt joli à l’œil, chaque imprimeur vous dira çà.
Evidemment pour celui qui écoute un autre lui lire ce n’est pas pareil
Et lui ça lui est égal qu’il y ait des majuscules.
Pourtant, Seigneur, - et certes, ce que j’en dis,
Ce n’est pas pour élever ma voix contre l’Eternel.
Plutôt contre moi et pour remâcher ma folie
Dont le goût dans ma bouche qui s’édente est amer.
Contre ma folie et contre ce vide de moi
Qui de moi-même fait comme
Une baleine de vanité, une baudruche de vent.
Mais en l’absence du Seigneur je m’assieds et m’attriste.
-
De quoi pourtant, de quoi Jonas se plaindrait-il ?
Je suis vivant, dit Jonas, pas très vivant
Puisque l’Esprit si rarement si brièvement me visite
Mais je suis vivant la bouche encore pleine
De mer et des humeurs âcres de la bête
Et pas très remis encore du mal de mer
Mais au total il n’y a pas à dire ça va
Et quand ça ne va pas, on fait aller.
Palmes, dans le ciel vert des oiseaux de passage
Au bord de l’eau, le soir encore brûlant
Echoué sur la côte du Brésil j’ai levé les yeux
et remercie l’Eternel qui me tient dans le creux de sa main.
Ce n’est pas tellement que je m’accuse
Ni d’ailleurs que j’essaye de me justifier.
Quoi ! J’ai peu menti, jamais tué en fait et
Presque jamais en pensée ; pour le reste, c’est entendu,
Flemmard et peloteur et parfois geignard
Personne au total de particulièrement, de bien intéressant.
Ô liquéfaction métaphysique, noyade bouddhique
Ô dispense de composer une personne superflue
Ô lassitude et secret désir d’enfin se perdre pour de bon
Dans les ténèbres internes de quelque baleine définitive.
Sentinelle, dis-nous la fin de la nuit.
Bonne affaire, bon aloi, bonnes fortunes
Bon usage de mon bon droit,
Bon air, bonne à tout faire, bon enfant.
Bonne vie, bonne à rien faire,
Quand ça ne va pas, on fait aller.
Ah ! l’époque est intéressante, notez bien
ah, le moi est intéressant
mais celui qui est établi, celui qui vit dans l’entre-deux
celui qui n’aime assez ni son Moi ni Dieu
celui qui a été craché des ténèbres de la baleine personnelle
sur un rivage vide où il n’a pas su parler à Dieu
celui-là, que fera-t-il ?
Jonas suivi de Les Ponts de Budapest et autres poèmes
Editions Gallimard (Poésie), 2005
Commentaires 1
Connaître ce qu 'a écrit cet homme par sa chair et sa vie .. augmente notre amour de la vie et notre désespoir de ne la vivre pas mieux.
Il faut travailler encore..