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Rencontre avec Jean de la Fontaine Rencontre avec Jean de la Fontaine : Le Songe de Vaux :VII-Acanthe se promène à la cascade

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VII-Acanthe se promène à la cascade , et les singulières faveurs qu’il y reçut du sommeil

Après que les Grâces se furent retirées, je me trouvai en état de continuer mes promenades, et d'achever de voir les raretés de ce beau séjour: il me fut pourtant impossible de quitter si tôt un endroit où il m’était arrive des choses si étonnantes. J'y passai donc tout le reste de la nuit, repensant tantôt à la chanson de l'Amour, tantôt aux beautés de Vénus et à celles des Nymphes, et rappelant en ma mémoire leurs paroles, leurs actions, toutes les circonstances de l'aventure. Enfin je dis adieu à ces prés, et sortis du parc de Mainsy, non point par le chemin qui m'y avait amené: j'en pris un autre, que je crus me devoir conduire en des lieux ou je trouverais des beautés nouvelles. Cependant la Nuit avait reployé partie de ses voiles, et s'en allait les étendre chez d'autres peuples. Quelques rayons s'apercevaient déjà vers l'orient.

Les premiers traits du jour sortant du sein de l'onde

Commençaient d’émailler les bords de notre monde;

Sur le sommet des monts l'ombre s’éclaircissait;

Aux portes du matin la clarté paraissait;

De sa robe d'hymen l'Aurore était vêtue:

Jamais telle à Céphale elle n'est apparue.

Je voyais sur son char éclater les rubis,

Sur son teint le cinabre, et l'or sur ses habits:

D’un vase de vermeil elle épanchait des roses.

Qui n’eût jugé qu’elle s’était fardée tout exprès dans le dessein de me débaucher du service que j'ai voué au dieu du sommeil ? Les hôtes des bois, qui avaient chanté toute la nuit pour me plaire, n’étant pas encore éveillés, je crus qu'il était de mon devoir de saluer en leur place ce beau séjour; ce que je fis par cette chanson:

Fontaines, jaillissez;

Herbe tendre, croissez

Le long de ces rivages;

Venez, petits oiseaux,

Accorder vos ramages

Au doux bruit de leurs eaux.

Vous vous levez trop tard;

L'Aurore est sur son char,

Et s'en vient voir ma belle:

Oiseaux, chantez pour moi;

Le dieu d'amour m'appelle,

Je ne sais pas pourquoi.

Tandis que je faisais résonner ainsi les échos, le soleil s'approchait très sensiblement de notre hémisphère et me découvrait, les unes après les autres, toutes les beautés du canton où mes pas s’étaient adressés. Dans la plus large de ces allées, j’aperçois de loin une Nymphe (ce me semblait) couchée sous un arbre en la posture d'une personne qui dort. J’étais tellement accoutumé à la vue des divinités, que, sans m'effrayer en aucune sorte de la rencontre de celle-ci, je résolus de m'approcher d'elle: mais, à la première démarche , un battement de cœur me présagea quelque chose d’extraordinaire. Je ne sais quelle émotion, dont je ne pouvais deviner la cause, me courut par toutes les veines. Et quand je fus assez près de ce rare objet pour le reconnaître, je trouvai que c’était Aminte, sur qui le Sommeil avait répandu le plus doux charme de ses pavots. Certes, mon étonnement ne fut pas petit, mais ma joie fut encore plus grande. Cette belle Nymphe était couchée sur des plantes de violettes, sa tête à demi penchée sur un de ses bras, et l'autre étendu le long de sa jupe. Ses manches, qui s’étaient un peu retroussées par la situation que le sommeil lui avait fait prendre, me découvraient à moitié ces bras si polis. Je ne sus à laquelle de leurs beautés donner l'avantage, à leur forme ou a leur blancheur, bien que cette dernière fît honte a l’albâtre. Ce ne fut pas le seul trésor que je découvris en cette merveilleuse personne. Les Zéphyrs avaient détourné de dessus son sein une partie du linomple qui le couvrait, et s'y jouaient quelquefois parmi les ondes de ses cheveux. Quelquefois aussi, comme s'ils eussent voulu m'obliger, ils les repoussaient. Je laisse à penser si mes yeux surent profiter de leur insolence: c’était même une faveur singulière de pouvoir goûter ces plaisirs sans manquer au respect. Je n'entreprendrai de décrire ni la blancheur ni les autres merveilles de ce beau sein, ni l'admirable proportion de la gorge, qu'il était aisé de remarquer malgré le linomple, et qu'une respiration douce contraignait parfois de s'enfler. Encore moins ferai-je la description du visage; car que pourrais-je dire qui approchât de la délicatesse des traits, de la fraîcheur du teint, et de son éclat ? En vain j'emploierais tout ce qu'il y a de lis et de roses; en vain je chercherais des comparaisons jusque dans les astres: tout cela est faible. et ne peut représenter qu'imparfaitement les charmes de cette beauté divine. Je les considérai longtemps avec des transports qui ne peuvent s’imaginer que par ceux qui aiment. Encore est-ce peu de dire transport; car, si ce n’était véritable enchantement, c’était au moins quelque chose qui en avait l’apparence: il semblait que mon âme fût accourue toute entière dans mes yeux. Je ne songeai plus ni à cascades ni à fontaines; et comme, au commencement de mon songe, j'avais oublié Aminte pour Vaux, il m'arriva en échange d'oublier Vaux pour Aminte, dans ce moment. Tandis que mes yeux étaient occupés à un exercice si agréable, je ne sais quel démon (le dois-je appeler bon ou mauvais ?) je ne sais, dis-je, quel démon me mit en l'esprit qu'il n’était pas juste que tout le plaisir fût pour eux; que ma bouche méritait bien d'en avoir sa part ; enfin, qu'un baiser cueilli sur celle d'Aminte devait être une chose infiniment douce, et aussi douce que pas une de ces délices dont l'Amour récompense ceux qui le servent fidèlement. D'un autre côté, la raison me représentait que c’était se mettre au hasard de fâcher Aminte, et que, l’éveillant, je détruirais mon plaisir moi-même. Ces dernières considérations furent les plus fortes: le respect et la crainte ne m'abandonnèrent point dans cette occasion périlleuse. Enfin un rossignol éveilla la belle, qui, s’étant levée avec précipitation, me regarda d'un oeil de colère, et voulut s’enfuir sans daigner me dire aucune chose. Je crois que l’étonnement et la honte lui fermaient la bouche car elle s’aperçut incontinent du désordre que les Zéphyrs avaient fait autour de son sein. Je la retins par la jupe; et, après avoir fléchi un genou: « Je ne sais pas, dis-je, en quoi mes yeux peuvent vous avoir offensée ; il n’y a que vous au monde qui vouliez défendre jusqu’aux regards. Les dieux, qui savent le plaisir que j'ai à vous contempler, m'en ont donné des commodités que je n'avais point encore eues: aurais-je négligé cette faveur? Encore n'en ai-je pas tiré tout l'avantage que je pouvais: il m’était aisé de cueillir un baiser sur vos yeux et sur votre bouche.

Ces lèvres où les Cieux ont mis tant de merveilles

Auraient pu m'excuser;

Et tout autre que moi, les voyant si vermeilles,

Eût voulu les baiser.

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Pour voir de ce bel oeil briller toutes les armes,

On l'aurait éveillé;

Je n'ai point cru l'Amour, le Sommeil, et vos charmes,

Qui me l'ont conseillé.

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Pourquoi donc voulez-vous m’ôter votre présence ?

Attendez un moment;

Car enfin je prétends mériter récompense,

Et non pas châtiment.

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Que je sache du moins quelle heureuse aventure

Vous amène en ces lieux:

L'art y brille partout; cependant la nature

Est plus belle en vos yeux .

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Flore, au prix des appas de vos lèvres écloses,

N'a rien que de commun:

Telle n'est la beauté ni la fraîcheur des roses,

Ni même leur parfum.

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Le soleil peint les fleurs, en la saison nouvelle,

De traits moins éclatants,

Et votre bouche, Aminte, efface la plus belle

Des filles du Printemps.

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Mais n'avez-vous point vu dans Vaux une merveille,

Qui fait, ainsi que vous, admirer son pouvoir ?

Si vous ne l'avez vue, Acanthe vous conseille

De ne point partir sans la voir.

- Vous voulez, dit Aminte, parler de Sylvie. - C'est elle-même que j'entends », répondis-je. Aminte rasséréna aussitôt son visage. « Rendez grâces, me dit-elle, au souvenir de cette incomparable personne, et relevez-vous; car, non seulement je vous pardonne en sa considération, mais je veux bien aussi vous apprendre le sujet de mon voyage. On vous aura dit infailliblement ce qu'Oronte a fait publier touchant un écrin qui se doit donner aujourd'hui en sa présence: c'est à la plus grande fée de l'univers qu'on l'adjuge. J'ai cru que le charme dont je me sers était assez puissant pour mériter une telle gloire; et, dans cet espoir, je suis accourue des climats où il est particulièrement reconnu . D'abord je n'ai pas voulu me déclarer, ni me mettre sur les rangs, comme ont fait les autres: mon dessein a été d'attendre que la cérémonie fût commencée, et de surprendre les juges et toute l'assistance par ma beauté. Mais, après avoir examiné les paroles d'une prophétie qui doit être la règle du différend, j'ai jugé qu'elles regardaient seulement les merveilles que l'art produit: or vous savez que je ne mets point d'art en usage. Il y en a bien un pour se faire aimer; il y en a un aussi pour paraître belle; mais ces sortes d'arts ne sont pratiqués que par des beautés médiocres: jamais la mienne n'en eut besoin. Si bien que de me présenter inutilement, vous ne me le conseilleriez pas, outre que le charme qui est en Sylvie m'en empêche. Je ne l'avais point encore vue qu'hier; et, comme elle se promenait dans ces jardins, je l’aperçus d'un endroit où j'étais cachée. J'en devins d'abord amoureuse, et dis en moi-même: « Ou il ne s'agit pas ici de ce charme qui est particulièrement fait pour les cœurs, ou, s'il en est question, c'est à Sylvie que le prix est dû. De façon ou d'autre, il est inutile à moi de le disputer. » J'avais donc fait résolution de m'en retourner dès aujourd'hui; et, si vous aviez attendu encore quelques moments, je crois que vous ne m'auriez pas rencontrée. » Je combattis longtemps les raisons d'Aminte, sans pouvoir lui persuader qu'elle demeurât, et que, si elle ne voulait demander le prix, tout au moins elle fît dans Vaux quelque épreuve de ses appas, puisque l'occasion en était si belle, et qu'il y avait tant de gloire à acquérir. « Ce n'est pas, ajoutai-je, que rien m’empêche de vous suivre des à présent, ni le désir de voir toutes les merveilles de ce séjour, ni celui d'assister à un jugement si célèbre. Que si je veux vous accompagner, c'est moins pour ma satisfaction que parce que vous êtes en des lieux éloignés de votre demeure. - Je ne suis pas venue seule, repartit-elle; ma compagnie doit être dans ces jardins, et assez près du lieu où nous sommes: ainsi je me passerai de vous aisément. Néanmoins, comme je ne serai pas fâchée de savoir à laquelle des quatre fées le prix sera adjugé, soyez présent à cette action, et me la venez tantôt raconter: je vous attendrai dans Mainsy. » Je trouvai une bonté si extraordinaire dans le procédé d'Aminte, que je crus pouvoir cette fois l'entretenir sérieusement de ma passion. Je lui demandai donc si elle serait toujours insensible. « Hé quoi ! me répondit-elle, osez-vous renouveler un propos que je vous ai défendu sur toutes choses de me tenir? Je n'avais pas voulu jusques là vous dire franchement ma pensée; mais, puisque vous m'en donnez sujet, sachez que l'Amour est un hôte trop dangereux pour me résoudre à le recevoir.

Acanthe, voulez-vous que je verse des larmes

Et soupire à mon tour,

Et, lasse d'être belle, abandonne mes charmes

Aux tourments de l'Amour ?

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Il détruit l'embonpoint, et rend la couleur blême

Il donne du souci.

J'aime trop mes appas, je m'aime trop moi-même

Pour vous aimer aussi.

- Hélas ! repris-je, que ne vous êtes-vous contentée de le penser, sans me le dire si ouvertement ? Au moins me devriez-vous laisser la liberté de me plaindre; car enfin, puisque vous êtes tellement confirmée dans la résolution de ne point aimer, qu’appréhendez-vous de tous mes propos? - J'y suis véritablement confirmée, répondit Aminte; mais je ne ferai que bien de me défier de moi-même. Je vous ai dit que l'Amour était un dangereux hôte; mais je ne vous ai pas dit que ce ne fût un hôte agréable, malgré toutes les peines qu'il peut causer. J'ai encore une meilleure raison pour ne le pas loger en mon cœur, que toutes celles que je vous ai dites. - Quelle serait-elle, cette raison? Dis-je en soupirant, y en peut-il avoir d'assez bonnes ? - C'est reprit Aminte, qu'il n'est pas toujours bienséant à notre sexe d'avoir de l'amour. Voilà le plus grand obstacle que vous ayez, et peut-être que j'aie aussi. - lui dis-je, ne faites point passer une erreur pour une raison. - C'est une erreur, je vous l'avoue, repartit Aminte; mais elle a pris racine dans les esprits, et je n'entreprendrai pas la première de la réformer. C'est pourquoi contentez-vous, si vous le pouvez, de mon amitié, et de mon estime par conséquent; car jamais l'une ne va sans l'autre. Je vous ai dit cent fois les moyens de les acquérir, et ne vous ai point dit, si j'en ai mémoire, qu'il fût besoin pour cela de me regarder si attentivement quand je dormirai. Mais je demeure avec vous plus longtemps que je n'avais résolu; il faut que j'aille chercher les personnes que j'ai quittées: ne me suivez point, et que je ne vous voie d'aujourd'hui qu’après la cérémonie. » A ces mots, elle s'en alla; et je la suivis seulement des yeux, ne croyant pas que cela fut compris encore dans la défense. J’étais même fort satisfait des dernières choses qu'elle avait dites: soit qu'elles vinssent de son mouvement, soit que quelque dieu les lui eût fait dire. En m'entretenant de cette pensée, je descendis vers la tête du canal, ou je trouvai Ariste et Gélaste qui me cherchaient. Ils s’étonnèrent de ce que j'avais voulu passer la nuit au serein: je leur dis que de ma vie je n'en avais eu une meilleure. Là-dessus, je commençai de leur raconter ce qui m’était arrivé depuis que je les avais quittés, et, bien que j'abrégeasse mon récit, il nous fournit d'entretien jusqu’au château.