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Rencontre avec Jean de la Fontaine Rencontre avec Jean de la Fontaine : Le Songe de Vaux :VIII-Neptune à ses tritons

Le_chateau_de_Vaux-Tritons_10_.png Le Songe de Vaux

VIII-Neptune à ses tritons

Vaux-Neptune.jpg

« Vous savez tous l'alliance qui est entre Oronte et votre monarque: aussi ne suis-je point fâché que d'autres divinités contribuent au plaisir d'un héros si chéri du Ciel. Je considère sans jalousie toutes les statues que Minerve lui a données. Apollon, qui s'est fait architecte, aussi bien que moi, pour un roi avaricieux et ingrat, n'a pas eu mauvaise raison de se faire peintre pour un héros très reconnaissant et très libéral. Je ne lui envie pas sa fortune; et c'est la seule émulation qui est cause que je vous assemble. I1 ne faut pas que vous souffriez que le palais ou nous sommes donne moins de plaisir aux yeux que cet autre qui le regarde. On peut dire, à la vérité, que les avenues de celui-ci sont si belles qu'il serait bien malaisé d'y rien ajouter; on peut dire aussi que sa face a je ne sais quoi de grand et de noble: mais les niches qu'on y a faites n’étant encore remplies que par des rochers tout secs, je crois que s'il en sortait de l'eau, cela serait un grand ornement. Que quelqu'un de vous y travaille; et, s'il réussit je lui donnerai pour récompense la plus belle des Néréides.

—Grand roi, dit un Triton, qui par droit d’héritage

Avez de l’Océan les plaines en partage,

Et qui voulez dans Vaux un empire fonder,

C'est à nous d’obéir, à vous de commander;

Rien ne semble impossible alors qu'on veut vous plaire:

Pour moi je vous dirai ce que l'art me suggère.

A garder vos trésors des monstres destinés,

Et par les mains du Sort sous ce mont enchaînés,

Veillent sur le cristal en des grottes profondes:

Lâchons ces animaux venus de divers mondes;

Je les dompterai tous, et de nuire empêchés

Par des liens de bronze ils seront attachés;

Mon art en ornera ces rochers et ces niches

Pour qui vous resservez vos trésors les plus riches. »

Le conseil plut au dieu du liquide Univers.

D'un seul coup de trident cent cachots sont ouverts

On voit sortir en foule un amas de reptiles,

Dragons, monstres marins, lézards et crocodiles,

Hydres à sept gosiers, escadrons de serpents,

La gent aux ailes d'or, et les peuples rampants

Limas aux dos armés, écrevisses cornues,

Des formes d'animaux aux mortels inconnues.

A peine ils sont sortis de leurs antres obscurs

Qu'ils font bruire le mont, se lancent à ses murs,

Et remettraient partout le chaos en peu d'heures

Sans la fatale main qui règle leurs demeures,

Sous un roc, par son ordre, un limas s’établit

Et de son vaste corps tout un antre remplit.

Quand le sage Triton les vit tous en leur place,

Avec jus de corail, quintessence de glace,

Et gorgone dissoute en cristal du Mainsi,

Il arrosa ce peuple aussitôt endurci.

Chacun d'eux toutefois conserve sa figure,

Chacun, sans s’émouvoir, siffle, gronde, murmure,

Fait que de son fracas tout le mont retentit,

Et pense avoir encor le gosier trop petit.

On dirait que parfois l'escadron se mutine,

Enivré du nectar d'une source divine,

Il pousse l'onde au ciel, il la darde aux passants,

Semble garder ces lieux en charmes si puissants,

Et défendre l'accès des beautés qu'il nous montre:

L'eau se croise, se joint, s'écarte, se rencontre,

Se rompt, se précipite au travers des rochers,

Et fait comme alambics distiller leurs planchers.