Souvenirs
Le ciel blanc
tourne au-dessus de moi.
La terre grise
grince sous mes pieds.
A gauche des arbres. A droite
un lac immédiat
aux rives de pierre,
aux rives de bois.
J’arrache lentement
ma jambe au marécage,
et le soleil m’illumine
de ses minces rayons.
Saison des moissons
de mil neuf cent cinquante-huit.
Rappelle-toi:
ce fut ton commencement.
Toujours vivant, Dobrovolski.
sourit et marche par la ville.
Et moi je me perds toujours
dans le rythme dactylique.
Saison des moissons
de mil neuf cent cinquante-huit.
Je m’ouvre lentement le chemin
qui mène à la Mer Blanche.
Les Rivières coulent vers le nord.
Les adolescents errent à mi-corps.
dans le chant des fleuves.
La nuit blanche au-dessus de nous
à peine commence à poindre.
Je cherche. Je veux faire de moi
un homme.
Et voilà que nous sortons,
voilà que nous sortons sur le rivage.
Les chevauchées bleues du vent
nous rejoignent déjà.
La terre s’enfonce dans l'eau
avec un clapotement bref.
Mes mains glissent sur le sol,
je lève la tête,
et la mer avance vers moi
sa blancheur éblouissante.
Joseph Brodsky-Collines et autres poèmes (Seuil) P.82_83 traduction de Jean-Jacques Marie