Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Jules Laforgue Rencontre avec Jules Laforgue : Complainte des débats mélancoliques et littéraires

COMPLAINTE DES DÉBATS MÉLANCOLIQUES ET LITTÉRAIRES

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Photographie anonyme vers 1887 (B.N. Estampes)

Écoutez Yvon Jean

''On peut encore aimer, mais confier toute son âme

est un bonheur qu’on ne retrouvera plus.''

Corinne ou l’Italie.

Le long d’un ciel crépusculaire,

Une cloche angéluse en paix

L’air exilescent et marâtre

Qui ne pardonnera jamais.


  Paissant des débris de vaisselle,

Là-bas, au talus des remparts,

Se profile une haridelle

Convalescente ; il se fait tard.


  Qui m’aima jamais ? Je m’entête

Sur ce refrain bien impuissant,

Sans songer que je suis bien bête

De me faire du mauvais sang.


  Je possède un propre physique,

Un cœur d’enfant bien élevé,

Et pour un cerveau magnifique

Le mien n’est pas mal, vous savez !


  Eh bien, ayant pleuré l’Histoire,

J’ai voulu vivre un brin heureux ;

C’était trop demander, faut croire ;

J’avais l’air de parler hébreu.


  Ah ! tiens, mon cœur, de grâce, laisse !

Lorsque j’y songe, en vérité,

J’en ai des sueurs de faiblesse,

À choir dans la malpropreté.


  Le cœur me piaffe de génie

Éperdument pourtant, mon Dieu !

Et si quelqu’une veut ma vie,

Moi je ne demande pas mieux !


  Eh va, pauvre âme véhémente !

Plonge, être, en leurs Jourdains blasés,

Deux frictions de vie courante

T’auront bien vite exorcisé.


  Hélas, qui peut m’en répondre !

Tenez, peut-être savez-vous

Ce que c’est qu’une âme hypocondre ?

J’en suis une dans les prix doux.


  Ô Hélène, j’erre en ma chambre ;

Et tandis que tu prends le thé,

Là-bas, dans l’or d’un fier septembre,

Je frissonne de tous mes membres,

En m’inquiétant de ta santé.


  Tandis que, d’un autre côté....

Présentation du poète par Marie Odile Germain ,Conservatrice au Département des manuscrits B.N.:

"Éternel adolescent en habit de Pierrot ("Je ne suis qu'un viveur lunaire/Qui fait des ronds dans les bassins " ) , avec cette voix inimitable , railleuse et déchirante , dont l'harmonie secrète se cherche dans la dissonance , Laforgue est peut-être un décadent . Mais c'est aussi un inventeur qui annonce Toulet , Supervielle , Apollinaire et Max Jacob .

Si courte qu'ait été sa carrière de poète (il meurt à vingt-sept ans ) , elle est faite de ruptures et d'expérimentations . Il renie ses premiers poèmes pour leur éloquence pathétique qu'il juge "de mauvais goût" . Sans doute les grands thèmes ne varieront-ils guère , ni les élans ni les langueurs ( Ah ! que la Vie est quotidienne …") , mais l'émotion sera désormais corrigée par l'humour : "M'est avis qu'il est temps / De renaître moqueur." Et les formes traditionnelles d'éclater , comme dans ces Complaintes qui jouent avec les mots , les tons et les rythmes, pour mieux saisir l'aigu et le fugitif . "