Écoutez Yvon Jean
Une nuit qu'on entendait un chien perdu
J'entendrai donc toujours là-bas cet aboiement!
Un chien maigre perdu par des landes sans borne
Vers les nuages fous galopant au ciel morne
Dans l'averse et la nuit ulule longuement.
Ah! Nul ne veut pleurer les douleurs de l'Histoire!
Dormez, chantez, aimez, ô vivants sans mémoire;
Mais votre tour viendra; l'oubli, la fosse noire.
Avez-vous entendu ? - Oh! ce cri déchirant!
C'est le sifflet aigu, désolé, solitaire
D'un train noir de damnés pèlerins du mystère
Dans la nuit lamentable à jamais s'engouffrant,
Ah! Nul ne veut, pleurer les douleurs de l'Histoire ?
Dormez, chantez, aimez, ô vivants sans mémoire,
Mais votre tour viendra : l'oubli, la fosse noire.
Oh! le refrain poignant que j'entends dans la nuit :
C'est un bal, fleurs, cristaux, toilettes et lumières.
- Le vent rit dans les pins qui fourniront des bières
À ces couples fardés qui sautent aujourd'hui.
Nul n'a voulu pleurer les douleurs de l'Histoire!
Dans cent ans, vous serez tous en la fosse noire,
Loin des refrains de bal des vivants sans mémoire.
Jules Laforgue
1ère publication: Poésies Complètes (Le Livre de Poche) 1970