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Rencontre avec Jules Supervielle Rencontre avec Jules Supervielle (1884-1960): Dieu se souvient de son premier arbre

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Écoutez Supervielle

DIEU SE SOUVIENT DE SON PREMIER ARBRE

C'était lors de mon premier arbre,

J'avais beau le sentir en moi

Il me surprit par tant de branches,

Il était arbre mille fois.

Moi qui suis tout ce que je forme

Je ne me savais pas feuillu,

Voilà que je donnais de l'ombre

Et j'avais des oiseaux dessus.

Je cachais ma sève divine

Dans ce fût qui montait au ciel

Mais j'étais pris par la racine

Comme à un piège naturel.

C'était lors de mon premier arbre,

L'homme s'assit sous le feuillage

Si tendre d'être si nouveau.

Etait-ce un chêne ou bien un orme

C'est loin et je ne sais pas trop

Mais je sais bien qu'il plut à l'homme

Qui s'endormit les yeux en joie

Pour y rêver d'un petit bois.

Alors au sortir de son somme

D'un coup je fis une forêt

De grands arbres nés centenaires

Et trois cents cerfs la parcouraient

Avec leurs biches déjà mères.

Ils croyaient depuis très longtemps

L'habiter et la reconnaître

Les six-cors et leurs bramements

Non loin de faons encore à naître.

Ils avaient, à peine jaillis,

Plus qu'il ne fallait d'espérance

Ils étaient lourds de souvenirs

Qui dans les miens prenaient naissance.

D'un coup je fis chênes, sapins,

Beaucoup d'écureuils pour les cimes,

L'enfant qui cherche son chemin

Et le bûcheron qui l'indique,

Je cachai de mon mieux le ciel

Pour ses distances malaisées

Mais je le redonnai pour tel

Dans les oiseaux et la rosée.

Jules Supervielle