Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Maurice Blanchard (1890-1960) Rencontre avec Maurice Blanchard(1890-1960) : Concerto de la solitude

Concerto de la solitude

Nous les brumeux, les hyperboréens, nous, les mangeurs de nuages, fils des neiges et des forêts, nous, parfumés d’huile de phoque et bouffeurs de chandelles, rêvons parfois des pays clairs.

Nous envahirons, quand les fruits seront mûrs, les nations qui ne se défendront pas.

Nous camperons dans les steppes, dans les ossements des sables d’or.

Nous surprendrons les réveils, les chastes rayons blancs, les cœurs ciselés, les mains d'amour et les ombres bleues des jets d’eau, dans les grilles indéchiffrables, nous les surgis du quaternaire.

Quand la foule descendit la Rue de Belleville, drapeaux rouges et poings levés, les idées fausses s’aplatirent sur les pavés .

Quand nous reviendrons de la dernière guerre, victorieux, couverts de médailles comme la carpe de ses écailles, étendards dressés, lourds phallus noirs de poudre et déchirés par les balles, dans les acclamations frénétiques des citadins, les jeunes filles nous jetteront des fleurs, des roses, des marguerites, des œillets.

Nos chevaux fouleront vos Gobelins.

Les chevaux du soleil se sont battus cette nuit. Le printemps devait naître à l'heure dite. Mais voici qu’au matin, nos puissants vieillards, gouverneurs de province, rois des terres ensoleillées, s’éveillèrent avec leur sceptre chatouillant les nombrils.

Ô temps anciens ! ô rappel des oiseaux ! Encore un peu, encore une minute, Monsieur le Bourreau ! suspendez la mécanique des jours et des nuits. Et vous, les monstres affamés de lumière, couchez-vous ! Le soleil de mars paraîtra quand le roi d'Angleterre aura tiré son coup .

Dans un château de Provence, la cour siège sur le gazon. Belle affluence de broderies et de boyaux de chat. On fête la naissance du sonnet, on cisèle la rime, on invente les questions nigaudes, on dissout les forces premières dans le jus de Laure et de Pétrarque. Et le jeune chevalier baise son écu, pense à sa dame, lance un défi aux phénomènes d’Apocalypse. Ah !si ma tante, si Paris ! Ah ! si les papillons !

Et dans tous les pays où résonne le si, dans tous les langages qu’on écrit de gauche à droite et de haut en bas, comme une torche dans un puits, dans tous les clochers, qu’on commence par en haut sans savoir comment le bas sera fait, dans les plafonds où Michel Torticolis foudroie et cloue les sept jours de la création, le feu sera mis.

Si vous croyez que je plaisante, paisible lecteur ! Si vous ne voyez pas que toute chose autour de vous ne tient debout que par habitude ! Étrange candeur, alors !

Je crée la mythologie des temps prochains. Je crée un monde minéral dont la parfaite fluidité ne sera pas la moins surprenante manifestation.

Un cerf trottait dans la forêt. À chaque bond, sa patte se courbait en virgule , une œuvre d'art dans chaque articulation. Son bois magnifique, plus haut qu’un hêtre de vingt ans, faisait l'admiration des biches aux yeux de femmes. Mais voici que l'orgueilleuse ramure s’enchevêtra dans les branches de la forêt. Et le cerf mourut. Car le cerf est un animal qui devra se surmonter.

La plèbe supporte tout. Quand l'homme des champs, longtemps penché, n'a pu découvrir le minuscule point vert, le front lourd de pensées incertaines, il revient vers sa maison, il marche lentement dans les terres du voisin .Une génération de blés va naître. Une génération de blés sera fauchée.